Le Chant des sorcières tome 1
dentelle de fils d'argent que lui avait autrefois remis une sorcière en Anatolie. Deux gouttes seulement de l'élixir ambré qu'il contenait et le grand prieur aurait été instantanément soulagé. Au lieu de quoi, le prince se réjouit avec les autres du mauvais moment que son geôlier était en train de passer.
26
En ce matin du 26 août, Sidonie se tortillait d'impatience dans sa robe que lui laçait Marthe. Tout à la fois pourtant elle était glacée. Les ongles de sa chambrière lui égratignaient le dos par moments, mais elle n'osait s'en plaindre.
— Là, te voilà prête pour ce pourceau, grinça Marthe.
La porte était bouclée. Elles étaient seules. Point n'était besoin d'un quelconque semblant. Sans ménagement, Marthe l'empoigna par les épaules et lui fit faire volte-face. La dureté de son regard n'autorisait aucune échappatoire.
— N'oublie pas, ce mariage n'a lieu que parce que je le permets. Un seul écart encore et il mourra. Un seul écart…
— Je ne peux pas tout contrôler, essaya Sidonie, refusant d'entrevoir ce dont elle serait capable pour la punir.
— Tu le devras pourtant. Je ne tolérerai plus qu'il me bafoue ainsi. Tu as compris ?
Les ongles de Marthe s'enfoncèrent dans ses reins tandis qu'elle l'attirait violemment contre elle. Un gémissement de douleur échappa à Sidonie, qui se perdit dans le souffle de son bourreau.
— Mais peut-être préférerais-tu que je lui raconte comment est véritablement mort ton premier mari ? Ou le plaisir que tu as pris à son agonie ?
— Tais-toi, supplia Sidonie en fermant les yeux.
Comme elle aurait voulu pouvoir effacer les images de ce démoniaque sabbat. Elle n'en était pas vraiment responsable. C'était Marthe qui avait tout orchestré, tout mené pour la perdre. Elle l'avait droguée, envoûtée.
— Embrasse-moi, ordonna la chambrière en enfonçant plus fort ses griffes.
Des larmes comme les gouttes de ce sang qu'elle sentait se noyer dans le grenat de sa robe piquèrent les yeux de Sidonie. Elle chercha la bouche venimeuse, entre le dégoût et le désir. Elle savait que le second l'emporterait, comme chaque fois que Marthe l'obligeait à s'abreuver d'elle. Elle avait beau essayer de s'en défaire, c'était comme un poison. Un poison que cette créature avait distillé dans ses veines lorsqu'elle l'avait violée par une nuit de pleine lune. Sidonie se cabra, le souffle court. Marthe la repoussa, dominatrice et cruelle.
— A la bonne heure, ricana-t-elle. C'est à moi que tu appartiens, à moi seule.
— Je ferai tout ce que tu voudras, mais ne fais pas de mal à Jacques. Tu sais à quel point je l'aime, l'implora Sidonie, désespérée une fois encore de ses propres réactions.
— Oh oui, je le sais. Ne lui ai-je pas ravi son épouse pour que tu l'aies ?
Sidonie ferma les yeux.
— Ne m'accable pas de ce crime. Si j'avais su ce que tu préparais, jamais je ne l'aurais permis. Jamais. Jeanne était une sainte femme, elle ne méritait pas ce que tu lui as fait.
Marthe ricana :
— De quoi te plains-tu ? Contre toute attente elle a survécu et toi, tu jouis de son époux ! Les choses ne sauraient être plus à ton avantage.
Sidonie eut envie de vomir.
— Chaque jour, je te découvre plus monstrueuse et inhumaine, murmura-t-elle, ne sachant si c'était à elle-même qu'elle s'adressait ou bien à Marthe.
— Mais c'est ce que je suis, chérie. Monstrueuse et inhumaine. Il suffit. Terminons de te parer pour tes noces, les cloches viennent de sonner et les abords grouillent de manants. Avec ces notables que Jacques a invités, ils n'attendent que de se remplir la panse.
Dans un silence morbide, Sidonie se laissa ajuster, coiffer, maquiller. Sa tristesse disparut sous le fard. Illusion. Comment en était-elle arrivée à se détester autant ? Il n'y avait qu'avec lui, Jacques de Sassenage, qu'elle se sentait renaître, qu'elle oubliait le joug imposé par cette sorcière. Pourquoi s'acharnait-elle ainsi sur elle ? Chaque fois qu'elle avait essayé de lui poser la question, elle s'était heurtée à un mur de mépris.
— Te faire souffrir m'aide à vivre, répondait-elle en grimaçant.
Marthe pouvait pourtant être d'une prévenance et d'une douceur extrêmes. Avec les enfants surtout. Mais ce n'était que calcul pour mieux resserrer son emprise. Combien de fois, après l'avoir vue se comporter ainsi, Sidonie avait-elle appris quelque diablerie dans le voisinage ? Elle ne lui
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