Le Chant des sorcières tome 1
pardonnait pas d'avoir engagé ces brigands pour découdre sa cousine Jeanne. Lorsque Marthe le lui avait avoué, elle avait tenté de mettre fin à ses jours en s'ouvrant les veines. Mais la démone l'avait trouvée qui se vidait de son sang, par terre, là où, quelque temps plus tôt, après avoir émasculé son époux, elle s'était donnée à plusieurs hommes.
— Moi seule ai droit de vie ou de mort sur toi, s'était emportée la chambrière en la soulevant dans ses bras.
Trois jours plus tard, il ne restait rien, pas même une cicatrice à son poignet. Ce jour-là, Sidonie avait réalisé l'ampleur de ses pouvoirs. Elle ne lui échapperait pas. A moins que…
— Pourquoi me l'as-tu donné ? Tu ne fais rien par bonté d'âme. Pourquoi me laisses-tu l'épouser puisque tu le détestes tant ? demanda-t-elle, rattrapée soudain par cette incongruité.
Marthe acheva d'ajuster le hennin, indifférente.
— Je sais que tu y trouves ton intérêt, insista Sidonie.
— Contente-toi du tien. Il ne durera peut-être pas éternellement, la menaça la chambrière.
Sidonie n'en saurait pas davantage. Mais une lueur d'espoir s'éveilla en elle. Marthe avait une faiblesse. Laquelle, elle l'ignorait, mais, de toute évidence, cet hymen en était la clef.
Elle se leva, se drapa dans sa gaieté habituelle. Une étincelle de ce bonheur que lui amenait son amant malgré le prix qu'elle le payait. Elle était prête, parée de la plus magnifique des façons. Oserait-elle rajouter à son collier la larme de Mélusine qu'elle avait fait monter en pendentif, sans en rien révéler à personne ? Non, lui répondit la voix de sa méfiance. Ce secret-là, c'est avec Jacques qu'elle l'avait partagé. Marthe ne savait rien, ni du rêve, ni du souterrain de la Rochette, ni des visions qui avaient troublé Jacques avant qu'il ne brise les scellés de la chambre. Comme si Mélusine était soudain devenue leur alliée. Cette pensée renforça son courage. Malgré tous ses pouvoirs, Marthe n'avait pas celui de lire dans l'avenir ni dans les pensées. Avec un peu de patience et de ruse, Sidonie apprendrait peut-être le moyen de se délivrer. Elle se dirigea vers la porte. Marthe la lui ouvrit, retrouvant instantanément la déférence qu'elle affichait pour tenir son rôle. Tant de fausseté. De mensonge. Si Sidonie n'avait autant craint pour sa famille, elle aurait tout jeté à plat dans le regard de Jacques. Au lieu de quoi elle s'avança en prenant le port d'une reine.
Dans la cour, au bas des marches du donjon, les siens l'attendaient, entourés des habitants du château. Elle sortit sous leurs acclamations, regrettant que son père ne fût plus là pour la mener à l'autel. Au diable les protocoles. Elle allait sur ses trente-neuf ans, et l'homme qu'elle aimait plus que sa vie même l'attendait sous le gros chêne. Ses enfants à ses côtés, elle se dirigea vers lui un franc sourire aux lèvres. Cela seul devait compter.
Assis entre les créneaux, les pieds battant le vide, des manants se tenaient le chapeau à la main, silencieux et recueillis. Quelques exclamations fusèrent qui prouvèrent à Sidonie à quel point elle était aimée de ses serfs. Ne l'avaient-ils pas adoptée pour leur dame dès lors qu'elle s'était installée là ? Au même titre que Jacques et Jeanne. Dans leur esprit, elle était une Sassenage. Le jeu des alliances, des fratries, leur était égal. Dès le premier jour, elle avait fait partie de leur vie. Rien d'étonnant en ce cas qu'ils se réjouissent autant. Tout comme l'abbé Vincent qui avait la larme à l'œil, sa bible en main. Fieffé coquin pourtant qui avait échoué là après une carrière de mercenaire et choisi la foi pour se garder de la potence. Sidonie était la seule à connaître son passé. N'avait-il pas été le compagnon d'armes d'un de ses anciens amants ? Ils s'étaient reconnus lorsqu'il avait été nommé curé de la paroisse. Elle lui avait fait comprendre qu'elle ne trahirait pas son secret. Depuis, il lui vouait la passion d'un homme d'église à une sainte, et d'un brigand à une putain. Mais il aurait préféré se faire clouer au pilori que de l'avouer. Près de lui, sous les guirlandes de fleurs, se tenait Jacques, tourné vers elle. Il la regardait s'avancer, fasciné, elle le savait, par sa beauté. S'en exalterait-il de même s'il apprenait que des onguents diaboliques la lui conservaient ? Elle chassa cette pensée en traversant la rangée de bancs.
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