Le Chant des sorcières tome 2
de ses autres prémonitions. Sans doute avait-elle compris que je ne l'avais pas crue.
— Qui l'aurait pu ? le soutint Aymar dans un soupir.
Jacques secoua la tête.
— Il y a six ans de cela, un matin semblable aux autres, après le matinel, elle m'a pris la main pour la poser sur son cœur. Son visage était empreint de mélancolie. Elle a fouillé mon regard et m'a demandé de lui accorder une faveur. Celle de placer nos filles, et Philippine en particulier, à Saint-Just s'il venait à lui arriver quelque chose. « Que craignez-vous donc, ma mie ? » lui ai-je demandé. Elle s'est contentée de sourire tristement. « Promettez-le-moi, Jacques, c'est important. » J'ai promis. Le lendemain elle partait pour l'abbaye et se faisait agresser dans la forêt. Par des malandrins, dira le prévôt sans parvenir à les retrouver. Par Marthe à la vérité.
— Vous pensez que mère avait eu la prémonition de ce qui lui est arrivé ? sursauta François qui ne parvenait toujours pas à se réchauffer comme si l'ombre du diable s'étendait sur les murs à mesure que la chandelle s'amenuisait.
Jacques hocha la tête.
— J'en suis certain.
— En ce cas, pourquoi n'est-elle pas restée en sécurité au château ? Qu'espérait-elle trouver à Saint-Just ?
— Je l'ignore.
La réponse se cachait quelque part dans la mémoire endeuillée de Jeanne. Tout comme les raisons qui lui avaient fait rendre son prénom d'Hélène à Philippine lorsqu'elle serait en âge d'être épousée. Saurait-il un jour ce qui l'y avait poussée ?
— Penses-tu qu'elle venait de reconnaître le diable en Marthe ? demanda Aymar.
Jacques s'appuya de l'épaule contre le mur et tordit la bouche.
— Elle l'a toujours su, je crois. Jeanne aimait sincèrement Sidonie. En apprenant la mort de son époux, que nous savions ruiné par des querelles incessantes avec ses voisins, nous nous sommes avancés pour lui présenter nos condoléances. Je me souviens du recul que Jeanne a marqué lorsque Sidonie nous a présenté Marthe comme sa dame de compagnie. J'ai cru que c'était sa laideur qui, comme moi, la gênait. J'ai été surpris lorsque Jeanne a proposé à sa cousine de s'installer à Sassenage. Ce fut spontané, presque brusque, avant qu'elle prenne conscience que la décision m'appartenait en premier. Je l'ai approuvée sans m'en offusquer. Nous ne venions que rarement en ce château et Sidonie risquait du jour au lendemain d'être chassée de ses terres. De plus, elle était grosse, venait-elle de nous annoncer, larmoyante. J'ai senti Jeanne soulagée d'avoir été soutenue. Là encore, j'aurais dû sans doute creuser la question. À l'inverse, Sidonie ayant accepté, nous n'en avons jamais reparlé.
— Mélusine, n'est-ce pas ? soutint Aymar d'un air entendu.
— J'en suis en effet arrivé à cette conclusion ces jours derniers.
— Je ne comprends pas, père, objecta François.
— La prémonition de ta mère affirmait qu'Hélène confierait l'enfant du diable à Mélusine pour sauver le monde. Peut-être a-t-elle pensé qu'en envoyant Marthe à Sassenage, Mélusine neutraliserait le malin avant qu'il ait engrossé sa fille.
— Visiblement elle s'est trompée, puisque Mélusine ne s'est pas manifestée. Pis, Marthe est plus diabolique que jamais, se désola François.
Pour la première fois depuis qu'ils s'étaient isolés dans cette cellule, le visage de Jacques s'éclaira d'un vrai sourire.
— Si, elle s'est manifestée.
Les yeux d'Aymar et de François s'arrondirent.
— A Sassenage et par deux fois, sans que Marthe en soit informée. En m'obligeant à briser les scellés de sa chambre et en chargeant Sidonie de construire un souterrain sous la Rochette. En voici la preuve, dit-il en extirpant de sa besace, la larme cristallisée qu'il avait ramassée près du lac souterrain.
— Ce n'est pas tout, ajouta-t-il comme la pierre passait entre leurs mains. Fort du rôle que doit jouer Mélusine dans cette prémonition, j'ai cherché une trace d'elle dans les archives de ma famille rangées dans la bibliothèque. J'ai fini par trouver un croquis au bas d'une lettre adressée par Raymondin à son fils aîné. Même si l'on admet que le portrait ne soit pas aussi fidèle qu'il le devrait, les doutes que j'avais se sont confirmés. Algonde lui ressemble presque trait pour trait. Si la prédiction de Jeanne est exacte, c'est donc à Algonde que l'enfant sera confié. Ce qui me semble on ne peut plus
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