Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Chant des sorcières tome 2

Le Chant des sorcières tome 2

Titel: Le Chant des sorcières tome 2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
Vom Netzwerk:
la firent tant aimer et vénérer qu'elle devint reine-juge à son tour et promulgua en avril 1395 une série complète de lois d'une rigueur et d'une justice sans précédent. À sa mort, le joug de l'Espagne pesa sur l'île. Mais jamais autant qu'en ces heures où peu à peu la décadence s'installait, noyant dans les abus de pouvoirs des feudataires des vice-rois tous les bienfaits de l'heureuse époque des Giudicati.
    Alors qu'ils cheminaient, découvrant çà et là forteresses en nid d'aigle, cathédrales ou basiliques, vestiges romains ou sanctuaires nuraghiques, s'appropriant là une lande sauvage, ici le relief d'un vallon piqueté de moutons, de bœufs noirs et de chèvres, plus loin la touffeur d'un maquis fourragé par les sangliers, ou la fraîcheur des forêts de chênes verts, Lina le leur avait prédit en secouant la tête tristement : tombé dans l'oubli, oppressé, pressuré, le peuple sarde connaîtrait des heures sombres et malgré cette fortune que la vente des épices pouvait leur rapporter, elle se demandait si elle pourrait élever ses enfants avec la dignité que ses parents à elle lui avaient léguée.
     
    Attirée sans doute par le bruit de leurs pas sur les rochers en éboulis et la lueur tremblante de leur lanterne, Catarina sortit de la cabane circulaire faite de pierres à hauteur de nez puis de branchages jusqu'au toit pointu, avec un chien prêt comme elle, visiblement, à mordre tant il aboyait et écumait.
    — Ce n'est que moi. Ta cousine de Murtas qui vient te visiter, se présenta Lina d'une voix forte, la devinant sur le point de lâcher la bête qu'elle tenait au collet.
    Elle avait bien fait de laisser les enfants plus bas, près du nuraghe où le chemin s'arrêtait, pour garder la charrette avec Enguerrand.
    — Approche avec ta chandelle que je voie si tu dis vrai, ordonna sa cousine, méfiante.
    Lina et Mounia obtempérèrent d'un même pas.
    — Couché, Brack. Couché ! aboya-t-elle plus fort que la bête.
    Le molosse aux poils drus et dressés sur la colonne vertébrale s'aplatit sur le seuil, sans pour autant s'apaiser.
    — Je crie et il attaque ! leur signifia la gardienne de chèvres en arrachant la lanterne des mains de Lina.
    Pour mieux juger de leur identité, elle se mit à leur tourner autour en les balayant de lumière. Pour finir, plus vive qu'une vipère, elle pinça méchamment la joue de Mounia qui ne put retenir un hurlement autant de douleur que de surprise.
    Lina éclata d'un rire clair.
    — À ce que je vois, tu n'as pas changé ! Toujours à traquer les esprits mauvais !
    Un sourire édenté consentit enfin à égayer la face osseuse de Catarina :
    — Tu ne crois pas si bien dire, les nuits de pleine lune, ils sont déchaînés. Ami, beugla-t-elle au chien qui rabaissa ses crocs au moment même où les deux cousines s'embrassaient.
    *
    La migraine leur vrillait le crâne de la même manière à tous deux, comme un tambour qu'on battrait à leurs tympans pour les punir. Refusant de lui céder, Mathieu baissa la tête et secoua une dernière fois à l'extérieur de la pièce sa chevelure trempée, projetant sur le gravier autour de lui un arc de cercle de fines gouttelettes. Le retour à la réalité avait été brutal. Les filles de salle revenues avec plusieurs valets et un baquet, ils s'étaient vus lui et Janisse saisis par les pieds et plongés la tête la première dans l'eau froide qu'il contenait. Pour sûr qu'ils avaient dessoûlé. Mais si avec ce traitement ils ne recrachaient pas tout ce qu'ils avaient mangé, ce serait miracle, songea le panetier en rotant, le ventre barbouillé. À quelques pas de lui, se collant presque aux flammes du foyer pour sécher le haut de sa tunique, Janisse n'était pas plus fier. D'autant que pour le soulever ils s'étaient mis à quatre et qu'ayant vu Mathieu immergé, il avait distribué quelques claques pour en être dispensé. Philippine, qui avait assisté à toute la scène, partagée entre le rire et la fureur, le gourmandait à présent en battant l'air de son index dressé.
    — Honte sur vous. Honte sur vous, Janisse ! Encore une chance qu'Algonde soit remise, sans quoi Gersende ne vous le pardonnait jamais !
    Il baissa le nez sur ses souliers et essuya d'un revers de manche ses yeux qui pleuraient. Non pas à cause de ce vin bien plus fort qu'il n'y paraissait, ni de la crainte de sa promise, mais parce qu'il avait démis la mâchoire d'un confrère venu à la rescousse des valets,

Weitere Kostenlose Bücher