Le Chant des sorcières tome 2
est le diable même ? avait-il rétorqué, excédé.
— Si vous m'aimez, Jacques, je vous conjure de la laisser à mes côtés. Mélusine elle-même vous le recommanderait comme elle me l'a recommandé.
Il était sorti en claquant la porte, foudroyant d'un regard haineux la chambrière qui s'en revenait des cuisines avec une infusion de verveine. Que ne pouvait-il lui attribuer quelque forfaiture pour que son prévôt la fouette en place publique ! Mais non. Rien ! Il ne pouvait lui reprocher qu'un dévouement sans faille à l'égard de son épouse, une attention soutenue pour le petit Claude et sa présence. Permanente. Obsédante. Détestable de laideur et, en apparence, d'abnégation. Quand crèverait-elle le masque ? Révélerait-elle enfin sa nature sournoise ? Son imposture ? Jacques ne voulait pas risquer de perdre Sidonie. Mais il était sur ses gardes. Au point de revivre en songe ce délire qui l'avait conduit à ouvrir la chambre maudite. Au point de revoir ce portrait de Mélusine adossé au manteau de la cheminée. Le mystère de sa disparition. Le cadre de poussière au mur comme un vestige ancien de son existence. Mélusine. Algonde. Le regard inquiet de cette dernière l'avait trahie. Elle savait. Elle savait sa ressemblance avec la fée. Désormais il en était certain. C'était Algonde qui avait subtilisé le portrait. On peut singer la noblesse d'un trait, d'une attitude, elle ne résiste ni à l'usure du temps, ni à l'implacable vérité d'une caste. Jacques de Sassenage devait se rendre à l'évidence. L'âme de Mélusine avait investi le corps d'Algonde et comme son aïeul Raymondin il y avait succombé. Quelle qu'en soit la raison, elle était liée à la présence assidue de Marthe auprès de Sidonie. Il devait l'accepter s'il voulait parvenir à libérer son aimée du joug qui l'entravait.
Il se dirigea vers ses appartements. À cette heure de l'après-midi, Sidonie y somnolait avant de descendre et de paraître à ses côtés, divine et majestueuse, devant leurs courtisans. Jacques avait délégué ses obligations seigneuriales à son fils aîné et, sauf exception, ne réglait plus les questions de vassalité. Il se donnait du bon temps. Il se donnait du temps.
Il poussa la porte avec précaution et se glissa dans la Chambre obscure, se guidant d'un rai de lumière qui filtrait des tentures ramenées devant la croisée. Comme il s'y attendait, Sidonie était étendue sur la courtepointe, les yeux clos et le souffle régulier. Il avait envie d'elle comme au premier jour et aurait donné sa vie sans hésiter pour connaître ce secret qu'il devinait derrière sa frayeur. Derrière Marthe. Il déplaça avec délicatesse une mèche de cheveux sur son front.
Ce simple contact fit frémir les lèvres de son épouse dans sa somnolence. Un sourire bienheureux les étira. Il se pencha pour les embrasser. Éveillée cette fois, Sidonie noua deux bras mois autour de son cou pour l'attirer à elle. À l'inverse du désir intense qui les jetait l'un sur l'autre, la chandelle du soir mouchée, ils n'étaient que tendresse le reste de la journée. Jacques s'allongea à ses côtés pour qu'elle vienne se pelotonner contre lui.
— Est-il tard ? demanda-t-elle.
— Point trop, non, mais je crois qu'il est temps d'organiser ce voyage à Saint-Just. L'envie de voir mes filles m'étreint le cœur. Depuis cette méchante histoire de duel, la mort de petite Claudine et la naissance de bébé Claude, nous les avons négligées. M'accompagnerez-vous ? Vous êtes ma femme désormais et l'abbesse devra s'en accommoder.
— Quand voulez-vous que nous nous y rendions ?
— Demain.
Sidonie se redressa pour planter son regard clair dans le sien.
— Les ramènerons-nous ? Vous aviez promis.
— Je veux leur laisser le choix. De plus, il me semble inutile de froisser la révérende mère en brusquant leur départ.
Sidonie afficha une moue agacée.
— Le mal qu'elle a causé à Hélène ne vous suffit donc pas comme argument ?
Jacques soupira :
— La sentence était exagérée, mais la punition nécessaire, vous devez en convenir.
Sidonie s'empourpra de colère.
— Or donc, voilà que vous la croyez coupable d'avoir jeté l'un contre l'autre ces nobliaux !
Jacques releva la tête pour biser le rictus de ses lèvres, un sourire léger aux siennes :
— Point de querelle ma douce. Je crois ce que je vois ce jourd'hui. Une jouvencelle mordante et séductrice qui tourne la tête
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