Le Chant des sorcières tome 2
n'avait plus de goût qu'avec Gersende avec laquelle, ma foi, il espérait toujours convoler, mais il lui eût fallu pour cela trouver le courage de se déclarer. Or, falot pour les histoires de cœur, il en manquait.
Gersende reposa son verre de lait. Il ne passait pas. Elle qui aurait bu à même le pis d'une vache tant elle en était gourmande !
— Seriez-vous malade ? Voulez-vous que j'aille quérir la sorcière ? insista le cuisinier, affolé de son œil vague.
Elle posa sur son bras épais sa main boudinée.
— Non point, mon brave Janisse. Je vais bien. Je me sens juste en peine ce matin. Algonde me manque. Et pour tout vous dire, je suis inquiète à son sujet.
— Auriez-vous reçu de mauvaises nouvelles ?
Gersende secoua la tête. Elle n'avait rien dit.
Conformément au souhait de sa fille, tous au château ignoraient sa grossesse de même que son statut privilégié auprès de Philippine. Alors comment expliquer au brave homme que son propre cœur se disloquait de minute en minute, comme un sablier qu'on aurait oublié de retourner et dont le temps serait compté ?
Janisse se mit à arpenter la cuisine en moulinant des bras comme à son habitude. À quelques pas, sous l'impressionnante batterie de casseroles accrochées aux murs blancs nuagés de gris, ses deux commis bâillaient en dépouillant les lapins que le fauconnier venait de ramener. Janisse comptait les servir au dîner.
Il réfléchissait. L'idée lui trottait dans la tête depuis quelques semaines déjà. N'était-ce pas l'occasion ? Il se planta devant elle, posa ses poings refermés sur ses hanches solides et se racla la gorge.
— Et pourquoi n'irions-nous pas ?
Gersende s'étonna :
— Où donc ?
— À la Bâtie, tudieu ! Est-il interdit à une mère de rendre visite à sa fille ? À une intendante de présenter ses comptes ?
Gersende n'avait jamais quitté Sassenage. Non que La Bâtie en Royans fût loin, à peine deux jours de carriole et encore, au pas des bœufs, mais tout de même.
— Sans escorte, ce serait folie. Et puis, qui ferait notre travail ici ?
Il lui prit les mains et les pressa avec insistance.
— Allons Gersende. Nous ne croulons pas sous la besogne. Quelques jours seulement. Le temps d'aller, de revenir et de vous assurer que tout va bien. Et puis nous pourrions demander au Mathieu de nous accompagner.
— Sûrement pas, se dressa Gersende.
Maître Janisse se mit en colère.
— Alors quoi, vous préférez qu'il épouse Fanette ? Non que je ne l'apprécie pas, mais enfin… Gersende… Vous savez comme moi qu'il ne l'aime pas ! Il lui faut une occasion, à ce petiot. Une occasion qui lui ménage l'orgueil ! Dame Gersende… Moi aussi je suis tout chiffouillé. À moi aussi elle manque la bécaroïlle ! Voyez donc. Depuis qu'elle est partie je me suis déplumé comme un vieux coq !
De fait, ne lui restait au crâne que de rares cheveux filasse qu'il attachait par un lacet. La première fois qu'elle l'avait vu ainsi coiffé, Gersende s'était esclaffée. Ce jourd'hui elle n'en avait pas envie. Sa raison voulait qu'elle reste. Son cœur lui hurlait d'aller. Une fois là-bas, que ferait-elle pourtant ? Mettre en terre sa fille si comme elle le craignait le pire était arrivé ? Et sinon ? Elle n'avait pas la science des simples comme la sorcière… Son œil s'illumina et un sourire de triomphe balaya la face lunaire de Janisse.
— Là. À la bonne heure. Alors donc, nous partons… c'est décidé…
Gersende hocha la tête. Elle venait d'avoir une idée, elle aussi. La sorcière. Voilà qui pourrait l'aider à savoir. À comprendre. Après tout, il se pouvait fort bien que son inquiétude ne soit qu'une prémonition destinée à sauver Algonde. En la voyant prête à donner naissance à leur fille, Mathieu ne pourrait-il lui pardonner ? Forcer la fatalité. Le destin dépendait aussi des décisions qu'on prenait. N'était-ce pas ce qu'Algonde lui avait affirmé avant de s'en aller ?
— Si vous voulez mon avis, il vaudrait mieux que Mathieu ne sache pas pourquoi nous allons. Il est si sot qu'il refuserait de nous mener… suggéra le cuisinier dans un rictus.
Gersende fixa avec étonnement ses traits devenus soudainement rouges de confusion.
— Et quel mensonge lui servirons-nous ?
Réunissant ses mains dans son dos, les yeux braqués sur ses souliers que son ventre lui empêchait de voir, il se mit à danser d'un pied sur l'autre, comme un enfant pris en
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