Le Chant des sorcières tome 2
qui glissait sur le parquet et s'en fut promener sa peine dans la salle de musique où un ménestrel s'était posé.
24
Le monastère abandonné n'était qu'un ancien ermitage en plein cœur de la forêt de Coulmes. Jacques de Sassenage en apprécia la rigueur et le silence. L'écho des pas résonnait tant sur les dalles disjointes, renvoyé par les voûtes basses et verdies, que tout espion leur aurait immanquablement été signalé. Il relâcha un peu la tension qui durcissait ses épaules depuis son altercation avec Marthe et, après un dernier regard dans le corridor pour s'assurer de leur isolement, referma sur lui la porte ronde, massive et cloutée. La petite pièce, sans fenêtre, était une des trois cellules qui avaient gardé encore un semblant d'unité dans cet ensemble abîmé par les ans que la végétation et les insectes avaient peu à peu colonisé. Personne n'y venait plus depuis longtemps à l'exception de maraudeurs. Le prévôt de la contrée passait régulièrement avec ses hommes les y cueillir dès que les forfaits s'additionnaient dans le périmètre du lieu.
C'était lui qui avait recommandé l'endroit à Jacques de Sassenage sitôt leur problème d'attaque de loups réglé. Une bâtisse oubliée du monde et du diable lui-même, lui avait-il assuré. Exactement ce dont le baron avait besoin pour mener à bien son projet.
Il se campa dans la lueur tremblante de la lanterne que le prévôt avait détachée de son cheval pour la lui tendre, à peine avaient-ils mis pied à terre devant le portail écroulé du bâtiment. Jacques de Sassenage avait demandé à son cadet, François, de l'allumer et de leur ouvrir la marche. Sans explication, il avait invité son vieil ami Aymar de Grolée à les suivre.
Le visage empreint d'une gravité curieuse, tous deux attendaient, l'un adossé au mur, un mollet replié, semelle contre la paroi pénétrée de mousse à la jointure des pierres et les bras croisés, l'autre, François, le derrière sur un vieux tabouret à l'assise de bois, rongé par les vers. Près d'une antique paillasse au ventre de laquelle une dizaine de souriceaux de la taille d'une phalange achevaient de grandir.
— Vous devez vous demander quelle folie me prend de nous enfermer ici, commença Jacques après un regard jeté sur une croix dépouillée piquée à un clou rouillé au-dessus de la tête de son fils.
Une toile d'araignée l'avait prise pour centre et, gigantesque par ses ramifications étoilées, courait de part et d'autre du plafond voûté.
— Bien plutôt quelle méchante histoire, mon ami, l'encouragea Aymar.
Jacques secoua la tête.
— La pire de toutes. Le diable est dans ma maison.
François tressauta :
— Que dites-vous, père ?
— La vérité, mon fils. Pour l'avoir combattu, je sais ce que j'avance et connais son visage.
Aymar fronça les sourcils qu'il portait épais et réguliers comme deux traits qui se rejoignaient au milieu du front. Pour autant, il n'intervint pas. Il connaissait suffisamment Jacques de Sassenage et ne pouvait douter ni de sa bravoure ni de sa lucidité.
François roulait de l'un à l'autre deux yeux ronds effrayés. Jacques s'avança jusqu'à lui et posa sur l'épaule de son fils une main apaisante.
— Tout ce que je vais révéler ce jour doit rester secret. Vous excepté, nul ne doit jamais savoir.
François leva la tête vers la sienne. Il était blême.
— Pas même Louis ?
— Surtout pas Louis.
— C'est pourtant l'aîné, objecta François qui, face au diable ne se sentait pas de taille, quoi que son père pût lui demander.
Jacques soupira :
— Louis est trop impétueux, trop entier. La vérité lui serait insupportable et il prendrait sans m'en parler des mesures qui s'avéreraient dangereuses pour nous tous.
— Sur mon honneur, Jacques… jura Aymar en portant un poing sur son cœur.
Le baron le remercia d'un sourire triste avant de se tourner de nouveau vers son fils.
— Te souviens-tu de ta mère ?
— Pourquoi, père ? Qu'est-ce que le diable a à voir avec elle ?
Jacques recula pour mieux les englober tous deux dans son champ de vision. Il savait l'attachement qu'avait porté Aymar à Jeanne de Commiers, au point qu'il s'était effacé devant leur amour, transformant le sien en amitié.
— On nous a menti. Toutes ces années. Menti et trahi.
— Qu'est-ce à dire, Jacques ? demanda Aymar dont le cœur s'était mis à palpiter de manière désordonnée comme chaque
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