Le Chant des sorcières tome 3

un méchant rhume me tient et je ne voudrais pas vous le donner.
    Les yeux de Marie se mirent à briller tandis qu'un joli rire détendait ses traits.
    — Oh ! c'est sans importance, vous savez. J'ai eu si peur que vous ne me pardonniez jamais !
    Et, sans plus attendre, elle étreignit Philippine avec toute la chaleur de l'affection qu'elle lui portait. Algonde se réjouit de voir Philippine la biser à pleines joues en retour.
    Son deuil était terminé.
    *
    Hugues de Luirieux s'aperçut de la disparition du flacon pyramide au large de Naples, alors que le navire marchand sur lequel il s'était embarqué faisait voile vers Aigues-Mortes. Jusque-là, l'esprit encombré du souvenir cuisant de Mounia, il s'était replié sur lui-même au point d'inquiéter ses hommes.
    Il était trop tard pour revenir en arrière. Il avait dû accorder une nouvelle fois à Mounia plus d'intelligence et de rouerie qu'elle n'en laissait paraître.
    Sortant de sa torpeur, il avait éclaté de rire, se moquant de lui-même et de sa sensiblerie exagérée avant de retrouver ses hommes et de partager avec eux, comme autrefois, une partie de dés. Jamais une donzelle ne l'avait mené par le bout du nez. Il avait eu raison de s'en débarrasser.
    Il doutait davantage de la décision qu'il avait prise de regagner Rochechinard pour rendre compte de sa mission à Philibert de Montoison. Ne ramenant ni Enguerrand, ni Mounia, ni l'objet que Djem avait espéré récupérer, à quoi bon reparaître ?
    Ali ben Cheikh, le pirate sarrasin qui les avait pris à son bord à l'aller, lui avait proposé de demeurer à ses côtés et de mettre son tempérament au service de la rapine. Malgré l'habit qu'ils portaient, Hugues de Luirieux et ses acolytes étaient de la race des opportunistes et des intrigants. Des voleurs et des assassins. Qui s'accorderaient mieux d'une vie d'aventure et de liberté que de servir l'ordre des Hospitaliers. Hugues de Luirieux en était convenu, mais il avait refusé l'offre. S'il ne donnait pas un héritier à sa terre avant de mourir, son nom se perdrait, or, il lui restait encore assez d'orgueil pour s'y refuser. À son retour, puisque le grand maître l'y avait autorisé, il quitterait les rangs et chercherait une dame à marier. Elle ne lui ferait sans doute pas oublier Mounia, mais qu'importe, ce n'était pas ce qu'il lui demanderait. Une fois que son fils aurait passé l'âge critique des nouveau-nés, ma foi, s'il s'ennuyait, il trouverait toujours moyen de guerroyer.
    Ce jourd'hui, il regrettait presque de ne pas avoir cédé. Dans ce château de Bourganeuf qu'il avait rallié, Guy de Blanchefort venait de lui donner une dernière mission avant qu'il ne se retire. Celle de faire la lumière sur la disparition de Philibert de Montoison, dût-il y passer des années.
    *
    Marie de Dreux était d'une compagnie charmante. Sa réserve naturelle, ajoutée sans doute au sentiment de culpabilité qu'elle gardait des actes de son père, la mettait à l'abri de cette exubérance propre aux anciennes amies de Philippine à la Bâtie. Algonde s'en réjouissait tandis que Marie racontait à Aymar de Grolée, venu les rejoindre près du feu, les circonstances de sa rencontre avec Laurent de Beaumont en l'abbaye de Saint-Just.
    — Ma foi, ma chère Hélène, s'empourpra-t-elle, je vous dois tout, savez-vous ? Si ce duel n'avait eu lieu, jamais je n'aurais eu le bonheur de soigner le seigneur de Saint-Quentin.
    Philippine se mit à rire.
    — J'eusse préféré à ce propos qu'il en soit autrement, croyez-moi.
    La porte s'ouvrit à cet instant sur un laquais qui annonçait un visiteur pour Aymar de Grolée.
    Ce dernier se leva pour s'incliner devant leur invitée.
    — Si vous voulez m'excuser, damoiselle Marie. Soyez chez vous dans cette demeure aussi longtemps qu'il vous plaira.
    — Je vous en remercie, messire. Je saurai m'en souvenir, lui sourit-elle.
    Elle attendit qu'il fût sorti pour se tourner vers Philippine, l'air soudain embarrassée.
    — À vous aussi Hélène. Votre pardon m'est précieux.
    Philippine se pencha pour lui presser les mains avec chaleur.
    — Oubliez cela, Marie. Qu'y pouvez-vous si votre père a trahi Djem ? Rien à la vérité. Et je veux croire que vous m'auriez avertie si vous l'aviez appris.
    — Sur-le-champ, s'enflamma la damoiselle.
    Elle se mit à trembler.
    — Ce fut terrible, vous savez. J'aimais mon père. Avant la mort de mon frère, c'était un homme d'une grande délicatesse,