Le chant du départ
avoir quinze ans.
Ils vont voir qui est Napoléon Bonaparte !
Il rejoint Joseph, qui hésite entre l’accablement et la satisfaction. Des amis les rejoignent. Paoli et ses proches dominent le Congrès. Paoli choisit qui il veut. Il se défie des Bonaparte. Mais il ne les rejette pas. Il les trouve jeunes. Il veut les observer, juger de leur fidélité. Il est prêt à faire élire Joseph membre du directoire du département, à permettre même qu’il fasse partie de la commission exécutive. Pour un jeune homme de vingt-quatre ans, n’est-ce pas un poste inespéré ?
Napoléon se tient sur la réserve. Peut-on rompre avec Pascal Paoli ? Il le saluera avec respect, renouvelant ses offres de service. Lorsque, après l’élection des députés, Napoléon rencontre Peraldi et Pozzo di Borgo, qui représenteront Ajaccio à l’Assemblée législative, il les félicite.
Mais, de retour dans la maison familiale, il tourne sans fin dans sa chambre. Cette double élection est une défaite pour les Bonaparte. Leur influence à Ajaccio s’en trouve réduite au bénéfice de leurs rivaux. Et Joseph doit demeurer à Corte pour assurer ses fonctions à l’administration du département. Paoli a habilement joué.
Napoléon se sent seul face à une situation hostile, mais c’est comme si l’énergie qui l’habitait s’en trouvait décuplée.
Il donne des ordres à tous, à ses frères et à ses soeurs, sur un ton cassant et autoritaire.
« On ne discute pas avec lui », se plaint Lucien à leur mère.
Lucien est le seul à tenter de résister. Mais Napoléon s’emporte aussitôt, il ne tolère aucune réplique, aucune observation. Il est comme un félin aux aguets, tendu, donnant un coup de patte impitoyable à celui qui passe à sa portée.
Son désir d’action, sa volonté de trouver une issue à une situation qu’il juge transitoire, son ambition, son désir de donner enfin sa mesure se traduisent par une nervosité, une hargne et une impatience que chaque geste traduit.
Le 15 octobre 1791, il est le premier des Bonaparte à pénétrer dans la chambre où son grand-oncle, l’archidiacre Lucien, est en train d’agoniser lentement, sereinement.
Napoléon se tient debout, au pied du lit, bientôt rejoint par ses frères et ses soeurs, sa mère. Joseph est arrivé de Corte. Quand l’oncle Fesch, le prêtre de la famille, se présente avec son surplis et son étole, l’archidiacre Lucien l’écarte. Il n’a pas besoin du secours de cette religion qu’en principe il a servie toute sa vie !
Napoléon, figé, observe, écoute ce mourant qui fait face.
L’archidiacre prend la main de Letizia Bonaparte. Elle sanglote. L’homme qui s’en va est celui qui, depuis la mort de son mari, gère les biens de la famille. L’archidiacre murmure : « Letizia, cesse tes pleurs, je meurs content puisque je te vois entourée de tous tes enfants. »
Il respire difficilement.
« Ma vie ne leur est plus nécessaire, ajoute-t-il plus bas. Joseph est à la tête de l’administration du pays. Il peut donc diriger vos affaires. »
L’archidiacre se tourne vers Napoléon.
— Tu poi, Napoleone, sarai un omone . (Et toi, Napoléon, tu seras un grand homme.)
Il répète ce dernier mot, omone .
Tous les regards se tournent vers Napoléon, qui ne baisse pas les yeux. Ce n’est pas la première fois qu’on le charge ainsi d’un avenir glorieux et singulier. C’est comme si tous ceux qui lui avaient dessiné un destin lui avaient fait obligation de l’accomplir.
C’est son devoir de devenir ce qu’on espère qu’il sera.
Lorsqu’il rentre dans la maison de la rue Saint-Charles après les obsèques de l’archidiacre, Napoléon est encore plus impatient d’agir.
D’abord, il compte.
Letizia Bonaparte est l’héritière de la petite fortune de l’archidiacre, mais elle la met à la disposition de ses fils. Joseph est retourné à Corte. C’est donc Napoléon qui va gérer la somme qu’on a découverte dans une bourse de cuir glissée sous l’oreiller du mort.
Quand il élève sur la table de la grande pièce du rez-de-chaussée ces colonnes de pièces d’or, Napoléon reste impassible. Son oeil ne brille pas et ses doigts ne tremblent pas. L’argent n’est d’abord qu’un moyen de prendre des assurances pour l’avenir.
Il faut pour cela arrondir son bien. L’oncle Fesch est un conseiller précieux. Il connaît les biens d’Église qui sont mis en vente comme biens
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