LE CHÂTEAU DANGEREUX
couleur indiquant qu’il avait eu à endurer toutes les vicissitudes d’une vie de proscrit, qu’il avait, pour nous servir de la phrase consacrée, épousé la cause de Robin Bruce, en d’autres termes, qu’il s’était réfugié avec lui dans les marais comme insurgé. Assurément une pareille idée se présenta à l’esprit du gouverneur. Cependant la froideur apparente et l’absence complète de toute crainte avec laquelle l’étranger était assis à la table d’un officier anglais, où il était absolument en son pouvoir, ne paraissaient guère conciliables avec un pareil pressentiment. De Walton et quelques unes des personnes qui l’entouraient avaient remarqué pendant toute la matinée que ce cavalier en haillons, qui n’avait de remarquable dans son costume qu’une vieille cotte de mailles, et dans son armure qu’une lourde pertuisane rouillée, longue de huit pieds environ, avait déployé un talent de chasseur bien supérieur à celui de toutes les autres personnes qui suivaient la chasse. Le gouverneur, après avoir regardé ce personnage suspect jusqu’à ce qu’il eût fait comprendre à l’étranger l’attention toute particulière dont il était l’objet, remplit un gobelet de vin choisi et le pria, comme un des meilleurs élèves de sir Tristrem qui eussent accompagné la chasse du jour, de lui faire raison avec un breuvage supérieur à celui dont la multitude se désaltérait.
« Je suppose cependant, sire cavalier, ajouta de Walton, que vous ne refuserez pas de répondre à mes défis quand je vous en porterai le verre en main, jusqu’à ce que vous puissiez me faire raison avec du vin de Gascogne qui a mûri dans le propre domaine du roi, a été pressé pour ses lèvres, et qui en conséquence est très propre à être bu à la santé et à la prospérité de sa majesté. »
« Une moitié de l’île de la Grande-Bretagne, répliqua le chasseur avec le plus grand calme, sera de l’opinion de votre honneur ; mais comme j’appartiens à l’autre moitié, le vin même le plus choisi de la Gascogne ne pourrait me faire boire à cette santé. »
Un murmure de désapprobation parcourut le cercle des guerriers présens ; les prêtres baissèrent la tête, devinrent d’une pâleur mortelle, et marmottèrent leurs Pater noster .
« Étranger, répliqua de Walton, vous voyez que vos paroles indignent toute la compagnie. »
« C’est fort possible, repartit l’homme avec le même ton bourru, et cependant il peut se faire qu’il n’y ait pas de mal dans les paroles que j’ai prononcées. »
« Songez-vous que c’est à moi que vous parlez ? » répliqua de Walton.
– « Oui, gouverneur. »
– « Et avez-vous réfléchi à ce que pourrait vous attirer une semblable insolence ? »
« Je n’ignore nullement ce que je pourrais avoir à craindre, si le sauf-conduit et la parole d’honneur que vous m’avez donnés en m’invitant à cette chasse méritaient moins de confiance que je me suis persuadé qu’ils en méritent réellement. Mais je suis votre hôte, je viens de manger les mets servis sur votre table, et de vider en partie votre coupe qui est remplie de fort bon vin, en vérité… aussi maintenant ne redouterais-je pas le plus terrible infidèle s’il s’agissait d’en venir aux coups, et moins encore un chevalier anglais. Je vous dirai en outre, sire chevalier, que vous n’estimez pas à sa juste valeur le vin que nous venons de sabler. Le fumet exquis et le contenu de votre coupe me donnent, en advienne ce qui pourra, le courage de vous informer d’une circonstance ou deux qu’une sobriété froide et circonspecte m’aurait empêché de vous communiquer dans un moment comme celui-ci. Vous désirez sans doute savoir qui je suis ? mon nom de baptême est Michel, mon surnom est Turnbull. Ainsi s’appelle un clan redoutable, à la réputation duquel j’ai bien contribué pour ma part, soit dans les parties de chasse, soit sur les champs de bataille. Je demeure au bas de la montagne de Rubieslaw, près des belles ondes du Teviot. Vous êtes surpris que je sache chasser les bestiaux sauvages, moi qui me suis exercé dès mon enfance à les poursuivre dans les forêts solitaires de Jed et de South-Dean, et qui en ai tué un plus grand nombre que vous n’en avez vu vous et tous les Anglais de votre armée, y compris même les superbes exploits de la journée. »
L’habitant de la frontière fit cette déclaration avec cette
Weitere Kostenlose Bücher