LE CHÂTEAU DANGEREUX
s’attendre à rencontrer sur un territoire où son maître passait pour rebelle et bandit, et où lui-même aurait pu être reconnu par tous les paysans présens. Cette circonstance produisit une forte impression sur tous les chevaliers anglais. Sir John paraissait grave et inquiet. Il ordonna aux chasseurs de se réunir aussitôt, et chargea ses soldats du soin d’examiner toutes les personnes qui avaient suivi la chasse pour découvrir si, dans le nombre, Turnbull avait des complices ; mais il n’était plus temps de procéder à cette enquête sévère lorsque de Walton en donna l’ordre.
Quand les Écossais qui se trouvaient de la partie virent qu’on interrompait la chasse sous le prétexte de laquelle on les avait réunis pour mettre la main sur leurs personnes et les soumettre à un examen rigoureux, ils eurent soin de préparer d’avance leurs réponses aux questions qu’on leur adresserait : bref, ils gardèrent leur secret, s’il était vrai qu’ils en eussent. Beaucoup d’entre eux, convaincus qu’ils étaient les plus faibles, eurent peur d’être maltraités, abandonnèrent les postes où ils avaient été placés, et quittèrent la chasse comme des gens qui s’apercevaient qu’on ne les avait invités que dans de mauvaises intentions. Sir John de Walton vit le nombre des Écossais diminuer, et leur disparition successive éveilla dans l’esprit du chevalier anglais ce soupçon qui avait, depuis un certain temps, altéré son naturel ordinaire.
« Prenez, je vous prie, dit-il à sir Aymer de Valence, autant d’hommes d’armes que vous pourrez en réunir dans l’espace de cinq minutes, et une centaine pour le moins d’archers à cheval, et allez avec toute la promptitude possible, sans leur permettre de s’écarter de l’étendard, renforcer la garnison du château ; car je ne présume que trop ce qu’on peut avoir tenté contre cette forteresse, quand nous voyons de nos propres yeux quel nid de traîtres est ici rassemblé. »
« Avec votre permission, sir John, répliqua Aymer, il me semble que dans cette affaire vous ne visez pas le juste but. Que ces Écossais aient eu de mauvaises intentions contre nous, je l’avouerai tout le premier ; mais il ne faut pas vous étonner si, long-temps privés des plaisirs de la chasse, ils s’écartent dans les bois et le long des rivières, moins encore s’ils ne sont pas fort disposés à se croire en sûreté avec nous. Le moindre mauvais traitement est capable de leur inspirer, avec la crainte, le désir de nous échapper : c’est pourquoi… »
« C’est pourquoi, » répliqua sir John de Walton qui avait écouté son lieutenant avec un degré d’impatience qui ne ressemblait guère à la politesse grave et cérémonieuse qu’un chevalier témoignait d’ordinaire à un autre ; « c’est pourquoi j’aimerais mieux voir sir Aymer de Valence courir ventre à terre pour exécuter mes ordres, que donner à sa langue la peine de les censurer. »
À cette réprimande un peu vive, tous les assistans se regardèrent les uns les autres avec des signes d’un mécontentement marqué. Sir Aymer était hautement offensé, mais il vit que ce n’était pas le moment d’user de représailles. Il s’inclina, et si bas, que le panache qu’il portait à son cimier toucha la crinière de son cheval… car il dédaigna même de prendre la peine de répondre tout de suite… et ramena par le plus court chemin un fort détachement de cavalerie au château de Douglas.
Quand il eut gravi la première éminence d’où l’on pouvait apercevoir les murailles massives et les nombreuses tours de la vieille forteresse, ainsi que les larges fossés remplis d’eau qui l’entouraient de trois côtés, il ressentit un plaisir inexprimable à la vue de la grande bannière anglaise qui flottait au plus haut de l’édifice. « Je savais bien ! se dit-il intérieurement ; j’étais bien sûr que sir John de Walton était devenu une vraie femme en s’abandonnant à ses craintes et à ses soupçons. Hélas ! se peut-il que le poids d’une telle responsabilité ait ainsi changé un caractère que j’ai connu si noble, si digne d’un chevalier ! Sur ma parole ! je ne savais plus quelle conduite je devais tenir en m’entendant réprimander ainsi devant toute la garnison. Certainement il mérite que de temps à autre je lui donne à entendre que, bien qu’il puisse triompher dans l’exercice de son court commandement, néanmoins
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