LE CHÂTEAU DANGEREUX
quand il s’agira de se montrer homme à homme, il sera difficile à sir John de Walton de rester supérieur à Aymer de Valence, et peut-être de s’établir comme son égal. Mais si au contraire ses craintes quoique exagérées étaient sincères au moment où il les exprimait, il convient que j’obéisse ponctuellement à des ordres qui bien qu’absurdes me sont donnés par suite de la confiance du gouverneur qui les croit nécessités par la circonstance, et n’ont pas pour but unique de vexer et de dominer les officiers qui lui sont soumis dans le dessein d’étaler son pouvoir. Je voudrais savoir quel est le véritable état des choses, et si de Walton, jadis si fameux, a peur de ses ennemis plus qu’il ne sied à un chevalier, ou fait de craintes imaginaires le prétexte de tyranniser son ami. Je ne puis dire qu’il y aurait beaucoup de différence pour moi, mais je préférerais qu’un homme que j’ai autrefois aimé fût devenu un petit tyran, plutôt qu’un esprit faible, un lâche ; et j’aimerais mieux qu’il prît à tâche de me vexer que d’avoir peur de son ombre. »
Tandis que ces idées agitaient son esprit, le jeune chevalier parcourait la chaussée qui coupait la pièce d’eau par laquelle les fossés étaient alimentés, et, passant sous le portail solidement fortifié du château, donnait des ordres rigoureux pour qu’on abaissât la herse, qu’on relevât le pont-levis, bien même qu’on commençât à distinguer la bannière de Walton qui revenait.
La marche lente et circonspecte du gouverneur pour revenir du lieu de la chasse au château de Douglas lui donna le temps de retrouver son sang-froid et d’oublier que son jeune ami avait montré moins d’empressement que de coutume à exécuter ses ordres. Il fut même disposé à regarder comme une plaisanterie la longueur de temps et l’extrême degré de cérémonie avec lesquelles tous les points de la discipline militaire furent observés pour sa réadmission au château, quoique l’air froid d’une humide soirée de printemps lui pénétrât le corps ainsi qu’aux gens de sa suite, tandis qu’ils attendaient devant le château qu’on échangeât le mot d’ordre, qu’on livrât les clefs, qu’on terminât enfin toutes ces minuties lentes qui accompagnent les mouvemens d’une garnison dans une forteresse bien gardée.
« Alures, dit-il à un vieux chevalier qui censurait aigrement le lieutenant-gouverneur, c’est ma faute. J’ai parlé tout à l’heure à Aymer de Valence d’un ton un peu trop impérieux pour qu’il n’en fût point offensé, lui si récemment élevé aux honneurs de la chevalerie, et cette manière exacte d’obéir n’est qu’un acte de vengeance assez naturelle et très pardonnable. Eh bien ! nous lui devons quelque chose en retour, sir Philippe, n’est-ce pas ? Ce n’est pas un soir comme celui-ci qu’il faut faire rester les gens à la porte. »
Ce dialogue, entendu par quelques uns des écuyers et des pages, voyagea de l’un à l’autre jusqu’à ce qu’il perdit entièrement le ton de bonne humeur avec lequel il avait été tenu, et l’exactitude de sir Aymer fut représentée comme une offense dont sir John de Walton et sir Philippe méditaient de se venger, et l’on répéta que le gouverneur la regardait comme un affront mortel que lui faisait son subordonné avec l’intention de la lui faire.
C’était ainsi que la haine augmentait de jour en jour entre deux guerriers qui, sans aucun juste motif de mésintelligence, avaient au contraire toute raison de s’aimer et de s’estimer l’un l’autre. Elle devint visible dans la forteresse même pour les simples soldats qui espéraient gagner de l’importance en se prêtant à l’espèce d’émulation produite par la jalousie des officiers commandans… émulation qui peut bien exister aujourd’hui, mais ne comporte que difficilement le sentiment d’orgueil blessé et de dignité jalouse qui s’y rattachait, alors que l’honneur personnel des chevaliers leur imposait la loi de ne pas permettre qu’on y portât aucune atteinte.
Tant de petites querelles eurent lieu entre les deux chevaliers, que sir Aymer de Valence se crut obligé d’écrire à son oncle, le comte de Pembroke, une lettre où il déclarait que son officier sir John de Walton avait malheureusement conçu depuis un certain temps des préventions contre lui, et que, après avoir supporté en beaucoup d’occasions sa mauvaise humeur, il se
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