LE CHÂTEAU DANGEREUX
racines entrelacées d’un de ces arbres, et permit à la jeune dame de boire quelques gouttes du liquide élément dans lequel elle lava aussi son visage qui avait reçu plus d’une égratignure pendant le cours de son voyage, en dépit du soin et presque de la tendresse avec laquelle on l’avait portée vers la fin. L’eau fraîche arrêta promptement le sang qui sortait de ces légères blessures, et en même temps servit à ranimer les sens de la malheureuse demoiselle. Sa première idée fut si une tentative d’évasion, dans le cas où elle serait possible, ne serait pas convenable. Mais un moment de réflexion la convainquit qu’elle ne pouvait songer à un pareil projet ; et cette seconde pensée lui fut confirmée par le retour du gigantesque chasseur Turnbull, dont elle avait entendu la voix rude avant d’apercevoir sa figure.
« Étiez-vous impatiente de me voir revenir, belle dame ? les gens comme moi, continua-t-il d’un son de voix ironique, qui sont toujours les premiers à la chasse des daims sauvages et des habitans des forêts, ne sont pas dans l’habitude de rester en arrière, quand de belles dames comme vous sont l’objet de la poursuite ; et si je ne suis pas si constant à vous accompagner que vous pourriez le vouloir, croyez-moi, c’est parce que j’ai à m’occuper d’autres affaires auxquelles je dois sacrifier momentanément même le devoir de demeurer avec vous. »
« Je ne fais aucune résistance, dit la dame ; dispensez-vous donc, en vous acquittant de votre devoir, d’ajouter encore à mes peines par votre conversation, car votre maître m’a donné sa parole qu’il ne souffrirait pas que je fusse insultée ni maltraitée. »
« Allons, la belle, allons ! répliqua le chasseur, j’avais toujours pensé qu’il était bien de se concilier la bienveillance des dames par de douces paroles ; mais si cela vous déplait, je n’éprouve pas tant de plaisir, moi, à courir après de beaux termes de dimanches que je ne puisse tout aussi bien me taire. Avançons donc, puisqu’il faut que nous voyions votre amant avant la fin de la matinée, et qu’il nous apprenne sa résolution définitive relativement à une affaire qui est si compliquée ; je ne vous adresserai plus un mot, comme femme, mais je vous parlerai comme à une personne sensée, quoique anglaise. »
« Vous rempliriez mieux, répondit Augusta, les intentions de ceux dont vous exécutez les ordres en ne faisant pas avec moi d’autre compagnie que celle qui est nécessitée par vos fonctions de guide. »
L’homme fronça le sourcil ; et cependant il parut consentir à ce que proposait lady de Berkely, et garda quelque temps le silence pendant qu’ils poursuivaient leur route, chacun enfoncé dans ses propres réflexions, qui sans doute portaient sur des objets bien différens. Enfin le son bruyant d’un corps se fit entendre à peu de distance de ces deux compagnons de voyage, si froids l’un envers l’autre. « C’est la personne que nous cherchons, dit Turnbull ; je reconnais son cor entre tous ceux qui retentissent dans cette forêt, et mes ordres sont de vous mener vers elles. »
« Le sang de la jeune dame circula alors plus rapidement dans ses veines à l’idée d’être ainsi présentée sans cérémonie au chevalier, en faveur duquel elle avait confessé une téméraire préférence, plus conforme aux usages de ces temps où des sentimens exagérés inspiraient souvent des actions d’une générosité extravagante, qu’à ceux de nos jours, où toute chose est réputée absurde, quand elle n’est pas fondée sur un motif qui se rattache immédiatement à l’intérêt personnel de celui qui la fait. Lors donc que Turnbull souffla dans son cor, comme pour répondre au son qu’ils avaient entendu, la dame fut tentée de s’enfuir, cédant à une première impulsion de honte et de crainte. Turnbull s’aperçut de son intention, et la saisit par le bras d’une manière qui n’était rien moins que délicate, en lui disant : « Voyons, noble dame, comprenez bien que vous jouez aussi un rôle dans la pièce, et que, si vous ne restiez pas en scène, elle se terminerait d’une manière peu satisfaisante pour nous tous, par un combat à outrance entre votre amant et moi, où l’on verra qui de nous deux est plus digne de votre faveur. »
« Je serai patiente, » dit Augusta, en pensant que la présence même de cet homme étrange et la violence dont il semblait
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