Le cheval de Troie
l’observais et admirais son sourire, sa démarche gracieuse, sa nuque ravissante. La guerre comporte toujours la menace de la mort, mais elle semblait en ignorer la fatalité.
— As-tu rencontré Patrocle en chemin ?
— Oui.
— Mais tu m’as préférée à lui ! s’exclama-t-elle, tout heureuse.
Elle m’offrit du pain chaud et de l’huile d’olive pour l’y tremper.
— Tiens, il sort du four.
— C’est toi qui l’as fait ?
— Non, tu sais parfaitement que j’en suis incapable.
— C’est vrai, tu n’as pas les talents d’une femme.
— Redis-moi ça ce soir, quand je serai dans ton lit, suggéra-t-elle sans se départir de son calme.
— Très bien. J’admets que tu as ce talent.
Dès que j’eus prononcé ces mots, elle se jeta sur mes genoux, me prit la main et, la glissant sous son ample robe, la posa sur son sein gauche.
— Je t’aime tant, Achille !
— Moi aussi, Briséis, je t’aime. Tu veux bien me faire une promesse ? lui demandai-je en la forçant à me regarder dans les yeux.
— Tout ce que tu voudras.
— Si je t’ordonnais d’aller avec un autre homme ?
Sa bouche trembla.
— Si tu l’ordonnais, j’irais.
— Que penserais-tu de moi ?
— Mon opinion ne changerait en rien. Je penserais que tu as une bonne raison de me le demander. Ou bien que tu es las de moi.
— Jamais je ne me lasserai de toi. Jamais. Il est des choses qui ne peuvent changer.
— Je te crois, répliqua-t-elle reprenant des couleurs. Propose-moi quelque chose de plus facile, mourir pour toi, par exemple.
— Avant ce soir ? Tu ne pourrais me prouver ton talent !
— Demain, alors.
— Je veux que tu me fasses une promesse, Briséis.
— Explique-toi.
J’enroulai une de ses boucles magnifiques autour de mon doigt.
— Je veux que le jour où tu me trouveras stupide, ou cruel, tu continues à croire en moi malgré tout.
— Je croirai toujours en toi. Mais je ne suis point sotte, Achille. Quelque chose te tracasse.
— C’est vrai, mais je ne puis t’en parler.
Elle se tut alors et n’aborda plus le sujet.
On ne savait trop comment s’y était pris Ulysse, mais la nouvelle se répandit dans l’armée entière : le conflit latent entre Agamemnon et moi menaçait d’éclater, Calchas revenait de façon exaspérante sur l’affaire Chryséis et le grand roi commençait à perdre patience.
Trois jours après le conseil, on n’en parlait déjà plus. Une catastrophe venait de s’abattre sur nous. D’abord les officiers essayèrent d’étouffer la chose, mais bientôt le nombre de malades fut trop élevé pour qu’on pût le cacher. Le mot redoutable circulait de bouche à oreille : la peste ! La peste ! La peste ! En une seule journée, quatre mille hommes furent atteints, quatre mille autres encore le jour suivant. On avait l’impression que jamais l’épidémie ne s’arrêterait. J’allai rendre visite à quelques-uns de mes hommes frappés par le mal. Couverts de plaies purulentes et pris de fièvre, ils déliraient et gémissaient. Machaon et Podalire m’assurèrent que ce ne pouvait être qu’une forme de peste. Peu de temps après, je rencontrai Ulysse, qui arborait un sourire rayonnant.
— Tu admettras, Achille, que c’est un véritable exploit d’avoir ainsi berné les fils d’Asclépios !
— J’espère que tu n’as pas préjugé de tes capacités, lui lançai-je.
— Ne t’en fais pas. Il n’y aura pas de morts. Ils retrouveront tous la santé, très bientôt.
Je hochai la tête, exaspéré par une telle autosatisfaction.
— Dès qu’Agamemnon obéira à Calchas et cédera Chryséis, je suppose qu’une guérison miraculeuse aura lieu, à la différence près que c’est nous qui aurons tiré les ficelles, et non Apollon.
— Ne le crie pas trop fort, dit-il en s’éloignant pour aller soigner les malades et acquérir ainsi la réputation, en réalité fort peu méritée, d’être un homme courageux.
Quand Agamemnon alla trouver Calchas et lui demanda de faire un oracle public, toute l’armée soupira de soulagement. Tout le monde était sûr que le prêtre insisterait pour que Chryséis fût rendue. Le moral des troupes s’améliora : l’épidémie allait bientôt prendre fin.
Pour recueillir les auspices, il fallait que tous les officiers supérieurs fussent présents. Il y en avait peut-être mille alignés derrière les rois, tous face à l’autel. Seul Agamemnon était
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