Le cheval de Troie
assis. Quand je passai devant le trône, je ne pliai pas le genou devant lui et pris mon air le plus renfrogné. On le remarqua. J’écoutai Calchas déclarer que la peste ne cesserait pas tant qu’Apollon n’aurait pas reçu son dû : la jeune Chryséis. Agamemnon devait la faire conduire à Troie.
Le grand roi et moi jouâmes la comédie selon le plan d’Ulysse : je raillai Agamemnon. Il riposta en m’ordonnant de lui donner Briséis. Repoussant un Patrocle bouleversé, je me dirigeai vers le camp des Myrmidons. À ma vue Briséis fondit en larmes mais ne dit mot. Nous retournâmes en silence à l’assemblée. Alors, devant tous, je mis la main de Briséis dans celle d’Agamemnon. Nestor se proposa pour prendre en charge les deux jeunes femmes et les acheminer vers leur destin. Tandis que Briséis s’éloignait avec lui, elle se retourna pour me regarder une dernière fois.
Quand j’avertis Agamemnon que je me retirais, moi et mes troupes, de son armée, je donnai vraiment l’impression de parler tout à fait sérieusement. Ni Patrocle ni Phénix ne doutèrent un instant de ma sincérité. Je me rendis à notre camp et ils me suivirent.
La maison paraissait bien vide sans Briséis. Évitant Patrocle, je boudai la journée durant, me renfermant sur ma honte et mon chagrin. À l’heure du souper, Patrocle vint manger avec moi, mais nous n’échangeâmes pas une parole. Je finis par lui dire :
— Cousin, ne comprends-tu pas ?
Les yeux embués de larmes, il me regarda.
— Non, Achille. Depuis que cette jeune fille est entrée dans ta vie, tu m’es devenu étranger. Aujourd’hui, tu as annoncé en notre nom à tous une décision que tu n’avais pas le droit de prendre à notre place. Tu as renoncé à nous faire participer à la bataille sans nous consulter. Seul notre grand roi pouvait le faire et jamais Pélée n’aurait agi ainsi. Tu es un fils indigne !
Oh, comme cela me fit mal !
— Si tu refuses de comprendre, peut-être consentiras-tu à me pardonner ?
— Seulement si tu vas voir Agamemnon pour te rétracter.
— Me rétracter ? dis-je avec un mouvement de recul. Es-tu fou ? Agamemnon m’a mortellement offensé.
— Tu as recherché cette offense, Achille ! Si tu ne t’étais pas gaussé de lui, il ne t’aurait pas pris pour cible ! Sois franc ! Tu te comportes comme si la séparation d’avec Briséis te brisait le cœur. As-tu jamais pensé qu’Agamemnon pouvait aussi avoir le cœur brisé d’être séparé de Chryséis ?
— Ce tyran obstiné ne peut avoir de cœur !
— Achille, pourquoi donc es-tu si inflexible ?
— Je ne suis pas inflexible.
— Ce n’est pas mon avis. C’est elle qui t’a influencé. Oh, comme elle a dû savoir te manœuvrer !
— Je ne saisis pas pourquoi tu penses ainsi, mais pardonne-moi, Patrocle, je t’en prie.
— Cela m’est impossible.
Il me tourna le dos. Son idole, Achille, venait de tomber de son piédestal. Comme Ulysse avait raison ! Les femmes ne causent aux hommes que des ennuis.
Ulysse vint me trouver le lendemain soir, en cachette. J’étais si heureux de voir un visage ami que je l’accueillis avec enthousiasme.
— Tu es proscris par les tiens ? me demanda-t-il.
— Même Patrocle me refuse le pardon.
— Il fallait s’y attendre… Mais courage, ami ! Dans quelques jours tu seras de nouveau au combat.
— Ulysse, j’ai pensé à quelque chose, qui aurait dû me venir à l’esprit durant le conseil. Si j’y avais pensé alors, je n’aurais jamais pu accepter ton plan.
— Ah ? fit-il, comme s’il lisait mes pensées.
— Naturellement, nous avons supposé qu’après le succès de ton stratagème, s’il réussit, nous serions libres de parler. À présent, cela me paraît impossible. Ni les officiers ni les soldats ne nous pardonneraient un tel expédient, utilisé de sang-froid pour parvenir à nos fins. Ils ne verraient que le visage des hommes morts pour atteindre notre objectif. J’ai raison, n’est-ce pas ?
— Je me demandais qui s’en rendrait compte le premier. J’avais parié sur toi. J’ai gagné, encore une fois.
— Ne perds-tu donc jamais ?… Mais ma conclusion est-elle correcte ou as-tu trouvé une solution qui satisferait tout le monde ?
— Il n’y a pas de solution, Achille. Tu as fini par comprendre ce qui aurait dû te sauter aux yeux dès le conseil. On ne pourra jamais rien révéler. Nous devrons emporter ce secret dans la
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