Le cheval de Troie
cette armée est venue ici !
Mon père frappa le sol de son sceptre.
— Anténor, tais-toi ! Déiphobos, tu es ivre ! Es-tu bien sûr de ces nouvelles, mon ami ? questionna-t-il en se tournant vers le messager.
— Oui, j’étais présent, seigneur. J’ai tout vu, tout entendu.
Alors qu’un instant auparavant la tristesse et l’apathie prédominaient, maintenant on souriait, on se serrait la main. Un murmure de satisfaction monta dans la salle du trône. J’étais seul à me lamenter. Le sort semblait vouloir qu’Achille et moi ne nous rencontrions jamais sur le champ de bataille.
Pâris s’avança vers le trône d’un air important.
— Cher père, lorsque j’étais en Grèce, on y racontait que la mère d’Achille, une déesse, plongeait tous ses fils dans les eaux du Styx pour les rendre immortels. Mais alors qu’elle tenait Achille par le talon droit, elle fut dérangée et oublia de le prendre par l’autre talon. C’est pourquoi Achille est mortel. Tu te rends compte, son talon droit est son point faible. Achille est vulnérable à cause d’une femme ! Je me souviens de Briséis. C’est une beauté…
— J’ai dit que ça suffisait, hurla le roi, furieux ! Il n’y a pas matière à plaisanterie. Tout ceci est d’une extrême importance.
Pâris parut décontenancé. J’eus pitié de lui. Depuis deux ans il avait vieilli. Alors qu’autrefois il avait fasciné Hélène, à présent il l’ennuyait. Toute la Cour le savait et savait aussi qu’elle était la maîtresse d’Énée. Elle ne saurait pourtant en tirer grande satisfaction ; Énée s’aimait surtout lui-même.
Mais il était impossible de lire les pensées d’Hélène. Pourtant elle n’était pas si énigmatique que cela. Elle avait pris un air légèrement méprisant, après la tirade de Priam. Pourquoi ? Elle connaissait les rois grecs. Alors pourquoi ?
Je m’agenouillai devant le trône.
— Père, déclarai-je avec assurance, si nous devons jamais chasser les Grecs de nos côtes, c’est le moment opportun. S’il est vrai qu’Achille et les Myrmidons étaient un obstacle quand, par le passé, je t’ai fait ma requête, tu n’as plus de raison d’être réticent. De plus, la peste a mis dix mille hommes hors de combat. Même avec le concours de Penthésilée et Memnon, nous n’aurions jamais autant de chances de vaincre que maintenant. Seigneur, donne-moi l’ordre de livrer bataille.
Anténor s’avança. Ah ! Toujours Anténor !
— Avant de nous engager, roi Priam, accorde-moi une faveur, je t’en prie. Laisse-moi dépêcher un de mes hommes chez les Grecs pour vérifier ce qu’affirme cet agent de Polydamas.
— C’est une bonne idée, seigneur, acquiesça Polydamas. Une confirmation est indispensable.
— Alors, Hector, me dit le roi Priam, il te faudra patienter un peu pour avoir ta réponse. Anténor, trouve ton homme et envoie-le en mission sur-le-champ. Je convoquerai une nouvelle assemblée ce soir.
En attendant, j’emmenai Andromaque sur les remparts, au sommet de la grande tour nord-ouest, qui donnait sur la plage des Grecs. La minuscule bannière flottait toujours au-dessus de l’enceinte des Myrmidons. Mais, étant donné le peu de mouvement dans le camp, il était évident qu’il n’y avait plus aucune relation entre eux et leurs voisins.
À la tombée de la nuit, nous retournâmes à la citadelle, ayant bon espoir que l’agent d’Anténor confirmerait toute l’histoire. L’homme arriva avant même que nous ayons eu le temps de nous impatienter et, en quelques phrases brèves, il répéta ce qu’avait dit l’agent de Polydamas.
Hélène, au fond de la salle, loin de Pâris, faisait ouvertement des signes à Énée, le visage souriant, car elle savait que, pour le moment, toutes les rumeurs qui la concernaient, elle et le Dardanien, étaient éclipsées par la nouvelle. Quand Énée s’approcha d’elle, elle lui mit la main sur le bras et ses yeux en amande lui lancèrent un regard enjôleur. Mais il ne lui prêta aucune attention. Pauvre Hélène ! S’il s’agissait de choisir entre ses charmes et ceux de Troie, je savais ce qu’Énée déciderait. Un homme admirable, certes, mais qui avait une bien trop haute opinion de lui-même.
Toutefois Hélène ne parut guère déconcertée par son départ soudain. Que pensait-elle donc de ses compatriotes ? Elle connaissait très bien Agamemnon. Un instant, j’eus envie de lui poser des questions, mais
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