Le cheval de Troie
champ de bataille après un vrai combat.
— Il n’est aucun aspect de la guerre devant lequel notre fils se dérobe.
— Notre fils a neuf ans ! Je ne permettrai pas qu’il devienne un guerrier obstiné et impitoyable comme tous les hommes de ta génération.
— Tu vas trop loin, ripostai-je d’un ton glacial. Par bonheur, tu n’auras plus à intervenir désormais dans l’éducation d’Astyanax. Dès que je rentrerai victorieux de la bataille, je te l’enlèverai et le confierai à des hommes.
— Fais cela et je te tuerai de mes propre mains, répliqua-t-elle avec hargne.
— Essaie seulement et tu le paieras de ta vie.
Pour toute réponse, elle éclata en sanglots.
J’étais trop irrité pour la toucher ou tenter la moindre réconciliation. Aussi passai-je le reste de la nuit, incapable de m’attendrir, à l’écouter pleurer comme une démente. La mère de mon fils refusait d’en faire un guerrier !
À l’aube naissante, je me levai et, debout à côté du lit, je jetai un coup d’œil à Andromaque. Elle refusa de me regarder. Mon armure m’attendait, j’oubliai Andromaque dans l’exaltation du moment et frappai dans mes mains. Les esclaves vinrent, me revêtirent de ma tunique rembourrée, lacèrent mes bottes, ajustèrent par-dessus les cnémides. Je maîtrisai l’impatience que je ressentais toujours avant un combat tandis qu’ils me mettaient mon pagne de cuir, ma cuirasse, mes cubitières, mes gantelets et mes protections en cuir pour les poignets et le front. On me donna mon casque, on me passa mon baudrier sur l’épaule gauche, laissant pendre mon épée du côté droit et, pour finir, on me mit mon bouclier géant en bandoulière sur l’épaule droite à l’aide de sa lanière coulissante, de façon à couvrir mon flanc gauche. Un esclave me donna ma massue, un autre m’aida à glisser mon casque sur l’avant-bras. J’étais fin prêt.
— Andromaque, je pars, annonçai-je d’une voix dure.
Mais elle demeura immobile, le visage tourné vers le mur.
Les couloirs tremblèrent, les dalles de marbre renvoyèrent l’écho du bronze ; le bruit de mes pas me précédait comme une lame de fond. Ceux qui n’allaient pas au combat sortaient pour m’acclamer au passage ; à chaque porte, des hommes m’emboîtaient le pas. Des étincelles jaillissaient sous les talons renforcés de bronze et, au loin, on entendait les tambours et les trompes. Devant nous s’étendait maintenant la grande cour et par-delà se dressaient les portes de la citadelle.
Hélène m’attendait sous le portique. Je m’arrêtai et fis signe aux autres de continuer sans moi.
— Bonne chance, beau-frère.
— Comment peux-tu me souhaiter bonne chance alors que je me bats contre tes compatriotes ?
— Je n’ai pas de patrie, Hector.
— Ton pays reste ton pays.
— Hector, ne sous-estime jamais un Grec ! m’avertit-elle en reculant d’un pas, elle-même surprise de ses propres paroles. Puis elle ajouta : C’est un conseil que tu ne mérites guère.
— Les Grecs sont des hommes comme les autres.
— Vraiment ? Je ne suis pas d’accord. Mieux vaut avoir un Troyen qu’un Grec comme ennemi.
Ses yeux verts étincelaient, pareils à des émeraudes.
— C’est un combat loyal, en terrain découvert. Nous en sortirons victorieux.
— Peut-être. Mais t’es-tu demandé pourquoi Agamemnon a causé tant de problèmes pour une seule femme, alors qu’il en a des centaines ?
--Ce qui importe, c’est qu’Agamemnon ait causé des problèmes. La raison d’un tel comportement est sans intérêt.
-- Je crois au contraire qu’elle est essentielle. Ne sous-estime jamais la ruse des Grecs. Et surtout, ne sous-estime jamais Ulysse.
— Pfft ! On affabule à son sujet, voilà tout.
-- C’est ce qu’il veut vous faire croire. Mais moi je sais qui il est.
Elle tourna les talons et rentra. Pâris ne se montra pas. Il contentait de nous observer de loin.
Soixante-quinze mille fantassins et dix mille chars m’attendaient, alignés sur les petites places et dans les rues transversales qui menaient à la porte Scée. Sur la grand-place se trouvait le premier détachement de cavalerie, mes propres auriges. Leurs acclamations retentirent comme le tonnerre lorsque j’apparus, levant haut ma massue pour les saluer. Je montai dans mon char et plaçai avec soin mes pieds dans les étriers d’osier pour ne pas perdre assise, en particulier au galop. À perte de vue,
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