Le cheval de Troie
Andromaque m’accompagnait et elle détestait Hélène. Elle me dirait si peu de choses que cela ne valait pas la peine de me faire tancer vertement par Andromaque.
Le roi m’appela, je m’approchai du trône et m’agenouillai.
— Je te confie le commandement de l’armée, mon fils. Envoie les hérauts ordonner la mobilisation dans deux jours, à l’aube. Dis au gardien de la porte Scée d’atteler les bœufs. Cela fait dix ans que nous sommes emprisonnés, mais nous allons enfin sortir et chasser les Grecs de Troie.
Comme je lui baisai la main, l’assistance poussa des hourras assourdissants ; mais je ne souris point. Achille ne serait pas sur le champ de bataille. Quelle victoire serait-ce dans ces conditions ?
Ces deux jours passèrent avec la rapidité de l’éclair. J’employai mon temps à discuter ou à donner des ordres aux armuriers, aux hommes du génie, aux auriges et aux officiers d’infanterie, entre autres. Tant que tout ne fut pas prêt, je ne pris pas un instant de repos et ne revis Andromaque que la veille de la bataille.
— Ce que je redoutais est arrivé, me lança-t-elle quand j’entrai dans la chambre.
— Andromaque, tu ne sais pas ce que tu dis.
— Est-ce toujours pour demain ? demanda-t-elle en essuyant ses larmes.
— Dès l’aube.
— N’as-tu pas pu trouver un peu de temps à me consacrer ?
— C’est ce que je fais en ce moment même.
— Encore une nuit et tu seras parti. Tout ça ne me plaît pas, Hector. Il y a quelque chose qui ne va pas.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? Qu’y a-t-il de mal à se battre enfin contre les Grecs ?
— Rien ne va. Cela paraît trop simple, déplora-t-elle en fermant le poing droit, à l’exception de l’auriculaire et de l’index qu’elle leva pour conjurer le mauvais sort. Cassandre n’a cessé de récriminer depuis que l’agent de Polydamas nous a fait part de la querelle.
— Ah, Cassandre ! m’exclamai-je en riant. Par Apollon, qu’as-tu donc, Andromaque ? Ma sœur Cassandre est folle. Personne n’écoute les prédictions de cet oiseau de malheur.
— Elle est peut-être folle, rétorqua Andromaque, bien décidée à se faire entendre, mais n’as-tu jamais remarqué combien ses prédictions s’avèrent exactes ? Sache-le, Hector, dans ses divagations elle répète sans cesse que les Grecs nous ont tendu un piège à l’instigation d’Ulysse. Ils nous font sortir par la ruse, tout simplement.
— Tu commences à m’agacer, répliquai-je. Je ne suis pas ici pour parler de la guerre, ou de Cassandre. Je ne suis ici que pour être avec toi.
Piquée au vif, elle se détourna et haussa les épaules. Puis elle rabattit les draps et les couvertures, enleva sa robe, moucha les lampes. Son corps était aussi ferme et aussi magnifique que lors de notre nuit de noces. La maternité ne l’avait nullement déformé. Je m’allongeai, tendis les bras et pendant un moment oubliai le lendemain. Puis je m’assoupis, plongeant dans le sommeil. Mon corps était satisfait, mon esprit détendu. Mais avant de sombrer dans l’inconscience, j’entendis Andromaque pleurer.
— Qu’as-tu donc à présent ? Penses-tu toujours à Cassandre ?
— Non, je pense à notre fils. Je prie pour qu’après-demain il connaisse encore la joie d’avoir un père vivant.
Comment les femmes s’arrangent-elles pour toujours dire la seule chose qu’un homme ne veut pas entendre ?
— Cesse de pleurnicher et dors ! criai-je.
Elle me caressa le front, se rendant compte qu’elle était allée trop loin.
— Peut-être suis-je trop angoissée. Achille ne se battra pas, alors tu ne cours aucun danger.
Je m’écartai brusquement d’elle et tapai du poing sur l’oreiller.
— Tais-toi, à la fin ! Inutile de me rappeler que l’homme avec lequel je brûle de me battre ne sera même pas là pour m’affronter.
— Hector, es-tu fou ? s’écria-t-elle, le souffle coupé. La rencontre avec Achille compte-t-elle pour toi davantage que Troie ? Que notre fils ? Que moi ?
— Il est des choses que seuls les hommes savent apprécier. Astyanax comprendrait mieux que toi.
— Astyanax n’est qu’un enfant. Depuis qu’il est venu au monde, il n’entend parler que de guerre. Il voit les soldats faire l’exercice, il s’assied à côté de son père dans un magnifique char de guerre à la tête d’une armée lors des parades militaires : il est victime d’illusions. Mais jamais il n’a vu le
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