Le cheval de Troie
porte de la salle de garde. Capitaine, ordonne d’ouvrir la porte Scée, mais ne laisse sortir personne. Je vais emmener Déiphobos et juger par moi-même.
Oh, la sensation du vent froid sur mon visage ! Cette traversée de la plaine en char me guérit de tous mes maux. J’ordonnai à l’aurige d’emprunter le chemin, aussi avancions-nous en cahotant sur les pavés, moins secoués cependant que par le passé. Les allées et venues incessantes des hommes et des chars avaient aplani les pierres et les intervalles avaient été emplis d’une poussière que les pluies d’automne avaient durcie.
Bien sûr nous avions tous compris ce qu’était cet objet, mais aucun de nous ne pouvait en croire ses yeux. Que faisait-il là ? À quoi pouvait-il bien servir ? Ce ne pouvait être ce que nous pensions ! Vu de plus près, il se révélerait sans doute fort différent. Pourtant, quand Déiphobos et moi nous en approchâmes, suivis de quelques membres de la Cour, c’était bien ce qu’il nous avait semblé : un gigantesque cheval de bois !
La créature brune et démesurée se dressait très haut au-dessus de nos têtes. Ceux qui l’avaient fabriquée, que ce fussent des dieux ou des hommes, l’avaient façonnée de façon à ce qu’on ne la prît point pour une mule ou un âne. De par le gigantisme de ses proportions, elle était montée sur d’énormes pattes aux sabots monstrueux, fixés par des boulons à une plate-forme de rondins. Celle-ci était surélevée grâce à de petites roues pleines, douze à l’avant et autant à l’arrière. Mon char étant dans l’ombre portée de la tête, je dus tendre le cou pour voir le dessous de ses mâchoires. L’animal en bois ciré était à la fois corpulent et robuste et les interstices entre les planches étaient colmatés avec de la poix, comme pour la coque d’un navire. Sur les joints on avait peint de jolis motifs ocre. La queue et la crinière étaient sculptées. Je reculais pour mieux voir la tête : les yeux étaient incrustés d’ambre et de jais, l’intérieur des narines était peint en rouge et les dents, qui apparaissaient comme s’il hennissait, étaient d’ivoire. Un magnifique animal !
Un détachement entier de la garde royale était arrivé au galop, ainsi que la plupart des membres de la Cour.
— Il doit être creux, père, dit Déiphobos, sinon il ne pourrait reposer sur la plate-forme sans écraser les roues.
Je désignai la croupe de la bête.
— Ce cheval est sacré. Il porte sur le flanc une chouette, une tête de serpent, une égide et une lance. Il appartient à Pallas Athéna.
Certains avaient l’air sceptique. Déiphobos et Capys marmonnaient, mais un autre de mes fils, Thymoetès, était au comble de l’excitation.
— Tu as raison, père ! Les symboles sont très clairs. Ce doit être un cadeau des Grecs pour remplacer le Palladion volé.
Le prêtre principal d’Apollon, Laocoon, grommela :
— Méfiez-vous des Grecs, même s’ils font des cadeaux.
— Père ! C’est un piège ! s’exclama Capys, intervenant soudain dans le débat. Pourquoi Pallas Athéna imposerait-elle un si dur labeur aux Grecs ? Elle aime les Grecs ! Ils n’auraient pu s’emparer du Palladion sans sa bénédiction ! Jamais elle ne nous apporterait son concours après l’avoir offert aux Grecs ! C’est un piège !
— Retiens ta langue, Capys, dis-je, en colère.
— Je t’en supplie, seigneur, insista-t-il. Ouvrons-lui le ventre et voyons ce qu’il contient.
— N’accepte jamais le présent d’un Grec, avertit Laocoon. C’est forcément un piège.
— Je suis du même avis que Thymoetès, dis-je. Il est destiné à remplacer le Palladion dérobé. Plus un mot, tu entends ? ajoutai-je en transperçant Capys du regard.
— Du moins, intervint Déiphobos avec pragmatisme, n’est-il pas destiné à être placé à l’intérieur des murs. Il est bien trop grand pour passer les portes. Non, quelle que soit la raison de sa construction, ce ne peut être une ruse. Il est fait pour rester ici, en ce lieu, et il ne représente aucun danger pour nous ou pour d’autres.
— C’est pourtant bel et bien une ruse ! s’écrièrent Capys et Laocoon en chœur.
La discussion devenait plus animée encore, à mesure que d’autres personnages importants se rassemblaient autour de ce cheval extraordinaire, faisant des conjectures et m’étourdissant de leurs avis.
Pour leur échapper, je fis le tour de
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