Le cheval de Troie
commença le rituel d’usage à la fin d’un duel à mort entre des hommes de sang royal. Je lui ôtai son armure, que je m’appropriai, et fis porter sa dépouille à la décharge de Sigée où les chiens la dévoreraient. Mais auparavant, je lui tranchai la tête et la mis au bout d’une lance. Je la donnai à Patrocle qui la planta dans les galets comme une simple bannière.
L’armée ennemie rompit alors le combat. Ils savaient où fuir, aussi nous distancèrent-ils rapidement, battant en retraite en assez bon ordre. Le champ de bataille et Sigée étaient à nous. Agamemnon fit cesser la poursuite. Je répugnai à lui obéir.
— Laisse, Achille, dit Ulysse. Les portes seront closes. Épargne tes forces et celles de tes hommes au cas où les Troyens attaqueraient à nouveau demain.
Comprenant qu’il avait raison, je retournai avec lui sur la plage, Patrocle à mes côtés, comme toujours. Derrière nous les Myrmidons chantaient le péan de la victoire. En arrivant, nous fûmes horrifiés. Des hommes sans vie gisaient alentour. Des cris, des gémissements, de faibles appels au secours montaient de toutes parts. Quelques corps bougeaient, d’autres étaient immobiles. Leurs ombres avaient déjà gagné le royaume d’Hadès.
Tandis qu’on nettoyait la plage, nos soldats embarquèrent et nos navires reprirent la mer. Je levai les yeux vers le soleil. Il était déjà bas. Je me sentais épuisé et avais peine à lever le bras. Je rejoignis pourtant Agamemnon, qui me contempla avec étonnement. De toute évidence il avait participé au combat, car sa cuirasse était déformée et son visage maculé de sang et de boue.
— Tu as pris un bain de sang, Achille ! remarqua le grand roi. Es-tu blessé ?
Je secouai la tête en silence. J’étais encore sous le coup des terribles émotions qui m’avaient bouleversé. Je pensai à Iphigénie. En continuant à vivre en homme sain d’esprit, j’assumerai mon châtiment.
— Ainsi c’était toi qui maniais la hache ! reprit Agamemnon. Je croyais que c’était Ajax. Nous te remercions, quand tu as ramené le corps de l’homme qui a tué Iolaos, les Troyens ont perdu courage.
— Je doute que ce soit à cause de moi, seigneur. Les Troyens en avaient assez et nos hommes ne cessaient de débarquer. Entre Cycnos et moi, c’était une affaire d’honneur.
Ulysse me prit doucement par le bras.
-- Ton navire est là-bas, Achille. Monte à bord avant qu’il ne parte.
— Pour quelle destination ? demandai-je étonné.
— Je l’ignore, mais nous ne pouvons pas rester ici. Télèphe dit qu’il y a une plage à l’intérieur d’une lagune, un peu plus haut sur le rivage de l’Hellespont. Nous allons y jeter un coup d’œil.
Finalement, la plupart des rois se retrouvèrent à bord du navire d’Agamemnon qui remonta le long de la côte vers le nord, jusqu’à l’entrée de l’Hellespont. Les premiers navires grecs à pénétrer dans ces eaux depuis une génération voguaient tranquillement. À environ une lieue de là, les collines qui bordaient la mer furent remplacées par une plage plus longue et plus large que celle de Sigée. À chaque extrémité se trouvait une rivière dont les limons avaient formé une lagune presque fermée. Seule une passe étroite permettait d’y accéder par le milieu ; à l’intérieur la mer était étale. Sur le faîte d’un des escarpements qui dominaient chacune des rivières se dressait une forteresse, dont la garnison s’était sans doute enfuie à Troie car nul n’en sortit pour voir arriver le navire amiral d’Agamemnon.
Celui-ci jeta l’ancre au milieu de la lagune, tandis que les navires, un à un, prenaient place, manœuvrés à la rame, mais à peine un tiers d’entre eux furent échoués avant la tombée de la nuit. Mes vaisseaux ainsi que ceux du grand et du petit Ajax, d’Ulysse et de Diomède se trouvaient encore dans l’Hellespont. Nous serions les derniers. Par bonheur le temps se maintenait et le calme y régnait.
Quand le soleil s’enfonça dans les flots je fis, satisfait, un tour d’horizon. En construisant un solide mur de protection à l’arrière des navires, notre camp serait tout aussi imprenable que Troie. La cité se dressait à l’est, en une gigantesque montagne, plus proche encore qu’à Sigée. Agamemnon se trompait. Troie ne tomberait pas en un jour, de même qu’elle n’avait pas été édifiée en un jour.
Une fois les navires convenablement
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