Le Chevalier d'Eon
d'être un homme. »
La comédie se poursuivait avec l'affaire du trousseau. Beaumarchais donnait deux mille écus à la demoiselle d'Éon pour se faire confectionner les vêtements de son sexe « à condition, précisait-il, qu'elle n'emporterait de Londres aucun de ses habits, armes et nul vêtement d'homme afin que le désir de les reprendre ne fut pas sans cesse aiguisé par leur présence, consentant seulement qu'elle conservât un habit uniforme complet du régiment où elle a servi, le casque, le sabre, les pistolets et le fusil avec sa baïonnette comme un souvenir de sa vie passée ou comme on conserve les dépouilles chéries d'un être aimé qui n'existe plus. Tout le reste me sera remis à Londres, ajoutait Beaumarchais, pour être vendu et l'argent employé selon le désir et les ordres de S.M. » Suivaient la signature de Beaumarchais et celle de d'Éon considéré désormais comme une femme.
Chapitre VIII Les fourberies du barbier de Séville
D ’Éon était trop subtil pour s’imaginer avoir séduit Beaumarchais, mais il jouissait du trouble qu’il jetait par ses affabulations romanesques pimentées de vérités incroyables. Il avait enfin trouvé un partenaire à sa mesure qui entrait dans son jeu sans s’y laisser prendre. Tous deux improvisaient une comédie au dénouement incertain, dont ils multipliaient les péripéties à plaisir. L’extravagance du chevalier risquait de l’emporter dans une intrigue vertigineuse. Jusqu’où pouvait aller cette bouffonnerie dont le ministre des Affaires étrangères et le monarque se tenaient informés ? Chacun des deux farceurs voulait triompher de l’autre sans savoir exactement quelle victoire il fallait en attendre. Le jeu l’emportait sur la réalité. Beaumarchais n’avait rien à perdre dans cette aventure, mais d’Éon risquait gros.
D’Éon se rebiffe
À Londres, le chevalier continuait d’occuper le devant de la scène, mais la publicité qui s’attachait à sa personne n’était pas de son goût. En effet les paris sur la nature de son sexe avaient repris. Le 11 novembre 1775, il éprouva un véritable haut-le-corps en lisant une annonce du Morning Post déclarant « qu’un seigneur bien connu dans ces sortes de négoce (les paris) s’était engagé à faire clairement décider cette question avant l’expiration de quinze jours ». Allait-on l’enlever et le mettre publiquement nu pour s’assurer d’une vérité qui ferait le tour du monde et rapporterait en même temps beaucoup d’argent aux parieurs ? D’Éon n’eut aucun mal à reconnaître Beaumarchais dans ce « seigneur bien connu ». Celui-ci venait de quitter Londres, mais laissait sur place son fidèle Morande, que le chevalier accusa bientôt d’être de mèche avec son patron pour relancer ces odieux paris sur son sexe. Non tout à fait sans raison, il faut bien le dire, car même s’ils en furent empêchés, nous savons en tout cas qu’ils en eurent l’intention. Le 8 mai 1776, en effet, Morande déclara devant témoins qu’il avait eu le dessein de trafiquer avec Beaumarchais dans les paris ouverts sur le sexe du chevalier, et qu’ils avaient même consulté plusieurs juristes, pour savoir si ces assurances étaient légales. Tous ayant répondu par la négative, les deux compères renoncèrent à leur projet {179} .
Ulcéré par l’annonce du Morning Post, d’Éon fit passer dans le même journal, un Avis au public dans lequel il démentait formellement l’information parue l’avant-veille, et qu’il attribuait soit aux manœuvres frauduleuses d’une immorale cupidité, soit à la malice de « certains grands seigneurs qui cherchaient à exercer contre son repos un reste de vengeance impuissante ». Il déclarait enfin « qu’il ne manifesterait son sexe qu’autant qu’il ne se ferait plus de police, et que si cela était impossible, il serait forcé de quitter furtivement un pays qu’il regardait comme une seconde patrie ». L’avis parut deux jours de suite, les 13 et 14 novembre 1775. « Dès le matin du premier jour, raconte le chevalier, Morande tout en émoi et tout consterné, courut chez mon avocat Vignoles, puis revint avec lui chez moi pour me déclarer que Beaumarchais serait furieux contre moi à cause de cette annonce ; qu’elle romprait tous les bons projets qu’il avait sur moi ; que je n’étais l’ami de personne, et que j’étais l’ennemi de moi- même, etc »
Dès son
Weitere Kostenlose Bücher