Le Chevalier d'Eon
habits d’adoption, j’exige absolument, dit-il, que l’équivoque de son sexe qui a été jusqu’à ce jour un sujet inépuisable de paris indécents, de mauvaises plaisanteries qui pourraient se renouveler surtout en France, et que la fierté de son caractère ne souffrirait pas, ce qui entraînerait de nouvelles querelles qui ne serviraient peut-être que de prétextes à couvrir les anciennes et à les renouveler, j’exige absolument, dis-je, au nom du roi, que le fantôme du chevalier d’Éon disparaisse entièrement et qu’une déclaration publique, nette précise et sans équivoque du véritable sexe de C.G.L.A.A.T. d’Éon de Beaumont, avant son arrivée en France et la reprise de ses habits de fille, fixe à jamais les idées du public sur son compte : ce qu'elle doit d'autant moins refuser aujourd'hui qu'elle n'en paraîtra que plus intéressante aux yeux des deux sexes, que sa vie, son courage et ses talents ont été également honorés ». Un peu plus loin, Beaumarchais entrant totalement dans le jeu de l'Amazone, n'hésite pas à la comparer à Jeanne d'Arc « qui sauva le trône et les états de Charles VII, en combattant sous des habits d'homme {173} ».
De son côté d'Éon, « fille connue jusqu'à ce jour sous le nom du chevalier d'Éon », se soumettait à la volonté du roi. Elle renonçait à toute poursuite à l'encontre de la famille du comte de Guerchy ; elle s'engageait à remettre tous les papiers en sa possession. Mais elle devait aussi s'engager à adopter dorénavant la conduite d'une femme. « Je me soumets à déclarer publiquement mon sexe, à laisser mon état hors de toute équivoque, à reprendre et à porter jusqu'à la mort mes habits de fille, affirmait-elle (ici d'Éon avait écrit "que j'ai déjà portés en diverses occasions connues de S.M." phrase barrée par Beaumarchais), à moins qu'en faveur de la longue habitude où je suis d'être revêtue de mon habit militaire, poursuivait-elle, et par tolérance seulement, S.M. consente à me laisser reprendre ceux des hommes, s'il m'est impossible de soutenir la gêne des autres après avoir essayé de m'y habituer à l'abbaye royale des dames Bernardines de Saint-Antoine des Champs, à Paris ou à tel autre couvent de filles que je voudrai choisir où je désire me retirer pendant quelques mois en arrivant en France. » D'Éon n'hésitait pas à faire part de ses exigences : «J'oserais observer, déclarait-elle, qu'à l'instant où j'obéis à S.M., en me soumettant à quitter pour toujours mes habits d'homme, je vais me trouver dénuée de tout, linge, habits, ajustements convenables à mon sexe, et que je n'ai pas d'argent pour me procurer seulement le plus nécessaire. » Aussi sollicitait-elle de nouvelles bontés de S.M. pour lui procurer un trousseau digne de son nouvel état. Elle demandait également la permission de porter la croix de Saint-Louis sur ses vêtements féminins.
En qualité de représentant du roi, Beaumarchais disserta sur le port de la décoration avec un feint sérieux de comédie : « Considérant, disait-il, que la croix de Saint-Louis a toujours été regardée uniquement comme la preuve et la récompense de la valeur guerrière et que plusieurs officiers après avoir été décorés, ayant quitté l'habit et l'état militaire pour prendre ceux de prêtre ou de magistrat, ont conservé sur les vêtements de leur nouvel état, cette preuve honorable qu'ils avaient fait leur devoir dans un métier plus dangereux, je ne crois pas qu'il y ait d'inconvénient à laisser la même liberté à une fille valeureuse qui, ayant été élevée par ses parents sous des habits virils et ayant bravement rempli tous les devoirs périlleux que le métier des armes impose, a pu ne connaître l'habit et l'état abusif sous lesquels on l'avait forcée à vivre que lorsqu'il était trop tard pour en changer, et n'est point coupable pour ne l'avoir point fait jusqu'à ce jour. Réfléchissant encore que le rare exemple de cette fille extraordinaire sera peu imité par des personnes de son sexe et ne peut tirer à aucune conséquence [...] il n'y a pas d'apparence que ses travaux finis, le roi en l'invitant à reprendre les habits de son sexe, l'eût dépouillée et privée de l'honorable prix de sa valeur, ni qu'aucun galant chevalier français n’eût cru cet ornement profané parce qu'il ornait le sein et la parure d'une femme qui dans le champ d'honneur s'était toujours montrée digne
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