Le Chevalier d'Eon
maintenant contre la reine Marie-Antoinette, il aborde l’affaire d’Éon. Il se dit sûr de pouvoir parvenir à un arrangement avec le chevalier-chevalière. Après avis du roi, Vergennes veut bien convenir de toutes les garanties raisonnables que pourra demander d’Éon pour le paiement régulier de sa pension de 12 000 livres, et pour convertir ladite pension en rente viagère. Quant au remboursement des dettes, les prétentions du chevalier sont jugées beaucoup trop élevées : « Il faut qu’il se réduise, et considérablement, pour que nous puissions nous arranger, déclare Vergennes à Beaumarchais. Comme vous ne devez pas, Monsieur, paraître avoir aucune mission auprès de lui, vous aurez l’avantage de le voir venir, et par conséquent de le combattre avec supériorité. M. d’Éon a le caractère violent, mais je lui crois une âme honnête, et je lui rends assez de justice pour être persuadé qu’il est incapable de trahison. [...]
«Vous êtes éclairé et prudent, vous connaissez les hommes, ajoute le ministre, décidément en veine d’amabilités, et je ne suis pas inquiet que vous ne tiriez bon parti de M. d’Éon, s’il y a moyen. Si l’entreprise échoue dans vos mains, il faudra se tenir pour dit qu’elle ne peut plus réussir, et se résoudre à tout ce qui pourra en arriver. La première sensation pourrait être désagréable pour nous, mais les suites seraient affreuses pour M. d’Éon : c’est un rôle bien humiliant que celui d’un expatrié qui a le vernis de la trahison ; le mépris est son partage »
De retour à Londres, Beaumarchais n’a pas trop de peine à convaincre d’Éon d’accepter les conditions du ministère. Celui-ci ne demande d’ailleurs pas mieux que de venir à composition, bien conscient – et l’on ne se sera pas fait faute de le lui rappeler – que cette négociation serait la dernière. Le 14 juillet 1775, Beaumarchais peut enfin annoncer la bonne nouvelle à Paris : « Je tiens à vos ordres le capitaine d’Éon, brave officier, grand politique et rempli par la tête de tout ce que les hommes ont de plus viril. Je porte au roi les clefs d’un coffre de fer, bien scellé de mon cachet, bien déposé, et contenant tous les papiers qu’il importe au roi de ravoir. C’est ainsi que j’en usai envers le feu roi au sujet d’un autre expatrié dont on redoutait la plume {170} . Au moins pendant que je vais essayer auprès de vous l’œuvre commencée auprès de d’Éon, le roi et vous serez bien certains que tout reste in statu quo en Angleterre et qu’on ne peut abuser de rien contre nous d’ici à la fin de la négociation que je crois à peu près finie {171} . » Mais ce coffre de fer que Beaumarchais apporte triomphalement à Versailles ne lui aurait pas été remis par le chevalier : d’Éon se plaindra plus tard à Vergennes qu’il s’agissait d’un larcin exécuté par Morande sur les ordres de Beaumarchais chez lord Ferrers ! Lequel des deux faut-il croire ? De toute façon, le coffre ne renfermait que des papiers sans grande valeur. Tout laisse donc supposer que d’Éon avait tendu un piège à son prétendu sauveur ; qu’il lui avait abandonné un faux trésor comme un appât. D’Éon voulait des garanties, un véritable contrat avant de livrer ce qu’il avait de plus cher.
On ne sait comment « les deux animaux extraordinaires » s’expliquèrent sur ce point lors du retour de Beaumarchais. Ce dernier revenait en possession d’un ordre de mission en bonne et due forme signé par Louis XVI et contresigné par Vergennes ainsi rédigé :
« De par le roi
« Sa Majesté étant informée qu’il existe entre les mains du sieur d’Éon de Beaumont plusieurs papiers relatifs aux négociations et correspondances secrètes, tant avec le feu roi, son très honoré aïeul, qu’avec quelques-uns de ses ministres d’État, et Sa Majesté voulant faire retirer lesdits papiers, elle a, pour cet effet, donné pouvoir et commission par ces présentes au sieur Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais de se transporter à Londres, pour y traiter de la recherche de toutes les pièces et papiers dont il s’agit, les retirer des mains ou dépôts où ils pourront se trouver, les rapporter en France et les remettre au pouvoir de Sa Majesté. Sa Majesté autorise le sieur Caron de Beaumarchais à prendre à ce sujet les arrangements et à passer tous actes qu’il estimera nécessaires, enfin à
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