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Le Chevalier d'Eon

Le Chevalier d'Eon

Titel: Le Chevalier d'Eon Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Evelyne Lever
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peine à concevoir qu’en cette circonstance, mon indignation a été cent fois plus grande que mon humiliation.
    « Si ce refus obstiné de ma part a eu le malheur de m’aliéner le cœur de M. de Beaumarchais, mon esprit s’est encore plus aliéné de lui par les actes d’infidélité, de manque de parole d’honneur, et d’une impertinence aussi incroyable que son libertinage. Ce sont tous ces faits contenus dans cette correspondance, et les notes y jointes, qui ont empêché la conclusion d’une affaire malheureuse, qui dure depuis tant d’années, et qui, sous la justice de votre ministère, devait être heureusement terminée, sans l’avarice sordide et la conduite impudique, malhonnête et insolente du sieur Caron de Beaumarchais.
    « Croyez-vous, Monseigneur, que depuis près d’un an que le sieur Caron galope de Versailles à Londres, et de Londres à Paris, tant pour mon affaire particulière que pour les autres affaires générales et importantes de la cour, dont il se dit lui-même et lui seul chargé, tout le temps qu’il m’a accordé pour son travail sérieux et badin avec moi, calculé ensemble, ne peut pas composer l’espace de quatre ou cinq heures. Il semble qu’il soit venu à Londres plutôt pour ses plaisirs que pour les affaires, plutôt pour négocier avec Morande qu’avec moi. Il n’a jamais travaillé une heure de suite chez moi   ; jamais il n’a rien approfondi. Quelques petites phrases, cent bons mots étrangers à notre besogne   : voilà à quoi tout son travail s’est réduit. Peut-il appeler cela besogne faite   ?
    «La célébrité qu’ont donnée au sieur Caron ses Mémoires contre Goëzman son Barbier de Séville, et sa facilité à être l’instrument ou le jouet de la faction de quelques grands en France   ; tout cela joint à son impudence naturelle lui a donné l’insolence d’un laquais parvenu ou d’un garçon horloger qui, par hasard, aurait trouvé le mouvement perpétuel. Déjà, il se croit un grand seigneur   ; il lui faut un lever, un coucher, des compagnons de voyage, et des complaisants dans ses plaisirs journaliers et nocturnes. L’on doit même imputer à son avarice si ce sycophante ministérial n’a point encore de table et de parasites.
    « Trop grand seigneur pour traiter lui-même avec moi, qui ai eu l’honneur de négocier avec les rois, l’impératrice de Russie et leurs premiers ministres, ce Caron avait subdélégué son ami Morande pour négocier à sa place auprès de moi, tandis que lui, enveloppé dans sa robe de chambre, ne la quittait que pour courir à ses plaisirs. Et s’il passait quelquefois un instant chez moi, c’était la plupart du temps sans se donner la peine de descendre de sa voiture   : il lui suffisait de me dire un mot à ma porte de son char de triomphe. J’ai eu, contre mon propre gré, la patience de patienter trop longtemps. Mais à la fin, ennuyée de tant d’insolence, et de ses tours et de ses détours, des bavardages et des mensonges de son plat Morande, quoique plus spirituel et plus adroit que lui en affaires, j’ai envoyé paître ce Caron et ai mis à la porte son conseiller Bonneau qui, non content de lui avoir procuré une bonne vérole au mois d’octobre dernier, le mène régulièrement trois fois par semaine dans les bordels de Covent Garden à Londres, où ils font ramasser plusieurs groupes de filles des rues qu’ils font dépouiller, pour servir et danser toutes nues pendant leurs sales et merveilleuses orgies. La connaissance de ces danses nocturnes, de ces saltimbanques avec de pareils ministraillons noctambules est publique ici. On y sait que le directeur de ces ballets impudiques est le sieur Caron de Beaumarchais, chargé par le roi et ses dignes ministres d’arranger, en tout bien et tout honneur, les affaires de Mlle de Beaumont.
    «Il est bien triste pour moi, dans ma position, d’en voir le maniement dans des mains aussi déshonnêtes et aussi impures. Lorsque vous avez eu la bonté, monseigneur, d’envoyer ici M. de Beaumarchais, je croyais n’avoir à traiter qu’avec lui seul. Quel a été mon étonnement lorsque je me suis vu avoir plus à négocier avec son favori Morande, auteur du Gazetier cuirassé, c’est-à-dire avec un homme qui n’a ni mœurs, ni fortune, ni réputation à perdre, et qui est l’âme de tous les plaisirs et de tous les conseils du sieur Caron   ! Mais le sieur Caron eût-il traité directement avec moi, ni sa position

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