Le Chevalier d'Eon
s’imagine connaître parfaitement l’Angleterre, parce qu’il connaît fort bien toutes les postes de Douvres ici, les théâtres et les bordels de Londres ; déjà il se croit un grand homme d’État, parce que, d’un ton emphatique et épigrammatique, il déclame quelques maximes paradoxes de politique, qu’on ne pourrait trouver que dans le supplément de Machiavel ; parce qu’avec le ton naturel de sa modestie orgueilleuse, il fait confidence au public qu’il n’y a que les papiers d’un portefeuille qui l’embarrassent, mais jamais les affaires. Cependant, malgré ce profond savoir, cette dextérité et ses courses légères à Versailles pour abréger, dit- il, la longueur du travail et le faire plus solidement, il m’a apporté un sauf-conduit pour retourner en France comme homme, tandis qu’il voulait que je reprisse sur-le-champ à Londres mes habits de fille ; il stipule dans sa transaction que je dois lui remettre tous mes habits d’homme, et il ne m’apporte point les vêtements de mon nouveau sexe, ni ne me donne l’argent stipulé pour mon trousseau. De sorte que si j’avais exécuté à la lettre cette transaction, je me serais trouvée toute nue à Londres au mois de décembre dernier : admirable moyen inventé par le sieur Caron pour me faire donner, malgré moi, au public, la démonstration de mon sexe ; et par là, malgré moi, empocher l’argent des polices que lui et ses associés avaient achetées d’avance.
« Je ne puis, monseigneur, mieux comparer l’ambassadeur extraordinaire Caron qu’à Olivier le Daim, barbier, non de Séville, mais de Louis XI. II a sa naissance, toute sa vanité et son insolence ; on peut dire des deux qu’un homme de basse extraction élevé à une dignité ressemble à un mendiant qu’on met à cheval : ils courent tous deux au diable, dit le proverbe anglais. En 1472, ce barbier favori eut l’effronterie de prendre sur lui la commission de réduire la ville de Gand ; mais les Gantois qui le connaissaient se moquèrent de lui. En 1775, le Barbier de Séville prend sur lui la commission délicate de tondre et de désarmer à Londres l’indomptable capitaine de dragons, et de vouloir réduire une femme au silence. Mais le chevalier d’Éon, qui connaît l’audace de Beaumarchais, et qui est en état de faire la barbe à tous les barbiers de Séville, a pitié du sieur Caron. Il devrait sentir, ce Caron, que cette commission est au-dessus de ses forces, surtout quand au lieu de bonne foi, il apportait la ruse ; quand au lieu d’argent, il apporte des paroles insolentes.
« Je pourrais encore comparer l’envoyé Beaumarchais à Laigues, que le cardinal de Retz envoya avec autant de répugnance que de complaisance à Bruxelles. Voici l’idée que ce cardinal avait de son envoyé, et comme il s’en explique lui-même : « Le valet de chambre qu’il m’envoyait apportait une dépêche de lui pleine d’esprit qui me fit pitié. Il ne parlait que des bonnes intentions de l’archiduc et de la sincérité de Fuensaldagne, et de la confiance que nous devons prendre en eux. H croyait déjà gouverner Fuensaldagne. Quel plaisir d’avoir un négociateur de cette espèce, dans une cour où nous devions avoir plus d’une affaire. Noirmoutier, qui était son intime ami, avoua lui-même que la dépêche était impertinente. Cette dépêche de Laigues fut la première et la dernière."
« Il en sera sans doute de même de celle de l’envoyé extraordinaire Beaumarchais ; on y verra partout de l’esprit et nulle part un jugement solide sur les affaires politiques, dont il n’a pris connaissance qu’en galopant. Comme il s’était mis en tête qu’en m’épousant, il deviendrait bientôt ambassadeur extraordinaire, et Morande son secrétaire d’ambassade, ils peuvent prendre tous deux, en passant, cette leçon politique de mademoiselle de Beaumont. Quels que soient mon sort et la décision de mon affaire, je vous supplie d’être bien persuadé que je ne cesserai d’être avec une parfaite reconnaissance et un profond respect,
« Monseigneur,
“Votre dévoué serviteur,
» L E CHEVALIER D ’É ON {188} . »
Vous languissez expatriée
On ne sait comment d’Éon accueilli son beau-frère. Datée du 18 août, la lettre de Beaumarchais qu’il reçut à peu près en même temps ne fit rien pour arranger les choses. Elle était froide et sans réplique possible. L’auteur du Barbier de Séville
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