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Le Chevalier d'Eon

Le Chevalier d'Eon

Titel: Le Chevalier d'Eon Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Evelyne Lever
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jury de bourgeois sérieux et décida qu’il siégerait non dans le bruyant Westminster Hall, mais dans le plus sélect Guildhall.
    Le jour du procès, une foule considérable se pressait aux abords de la salle d’audience. On montra aux jurés le contrat passé entre les joueurs, ce que les Anglais appellent une police d’assurance, autrement dit une promesse de payer, en échange d’une somme que l’on reçoit, une autre somme convenue dans le cas où le sujet du pari serait vérifié en faveur de la partie désignée. Mr Hayes présenta ensuite deux témoins, un garçon chirurgien qui faisait souvent office de sage-femme, et... Morande désigné comme « ami du chevalier   ». La tension montait dans la salle. On était suspendu aux lèvres du garçon chirurgien, lequel déclara avoir été appelé quelques années plus tôt auprès de d’Éon malade. À sa grande surprise, il s’aperçut que c’était une femme souffrant d’un mal qu’il qualifiait de female disorder. D’Éon lui aurait fait promettre de ne jamais révéler son secret. Il rompait aujourd’hui son serment, parce qu’il se trouvait devant un tribunal.
    Le garçon chirurgien ayant achevé sa déposition, Morande parla à son tour. Il jura que le 3 juillet 1774, d’Éon l’avait introduit dans sa chambre, qu’il lui avait montré ses vêtements féminins, ses boucles d’oreille et dévoilé ses seins. Quelque temps plus tard, à la demande du chevalier-chevalière, Morande revint dans sa chambre, alors que le chevalier était au lit   ; d’Éon prit la main de son visiteur et la glissa sous ses draps afin de lui prouver qu’il était bien une fille.
    Un silence gêné suivit ces deux déclarations. Les avocats de Mr Jack n’essayèrent pas d’infirmer ces témoignages. Ils déclarèrent simplement qu’une cause aussi indécente n’aurait jamais dû être soumise à la Justice   ; ils ajoutèrent que puisque le sieur Hayes était sûr de la véritable nature du chevalier avant de prendre son pari, celui-ci devait être considéré comme nul. La partie adverse répondit que le sieur Hayes était de parfaite bonne foi, n’ayant eu d’autre certitude que celle de la rumeur publique.
    Lord Mansfield prit alors la parole {199} : « Ce pari, dit-il, est mie spéculation semblable à toutes celles qui ne sont que trop usitées dans ce pays   : elles ne sont pas expressément proscrites par les lois. Il n’y a point d’acte du parlement qui les interdise   : tout ce qu’on peut exiger, c’est qu’il n’y ait point de supercherie. Le sieur Hayes ne peut être accusé de fraude   ; il n’y a point de connivence entre lui et le chevalier d’Éon   ; il paraît qu’ils ne se sont ni vus ni parlé. Il en est de même du contrat qui lui sert de titre. Tout à l’extérieur favorisait les conjectures du sieur Jack. La personne dont le sexe était soupçonné paraissait toujours sous un uniforme guerrier et connu   ; elle tirait des armes   ; elle querellait   ; elle offrait sans cesse le combat à tout homme qui voulait l’accepter   ; elle avait un titre militaire authentique et justifié par des services réels dans les dernières guerres en Allemagne.   » Et lord Mansfield d’énumérer les hauts faits de d’Éon avant de déclarer que toutes les apparences justifiaient la confiance de Mr Jack. Il poursuivit   : « Le demandeur au contraire avait tout contre lui. En supposant qu’il eût réellement découvert la vérité, rien de plus difficile que d’en administrer la preuve. Le chevalier se refusait à la fournir   : personne ne pouvait l’y contraindre et il est très probable que ce mystère n’aurait jamais pu être éclairci sans les querelles particulières du chevalier avec quelques-uns de ses compatriotes qui l’ont indirectement révélé.   » Lord Mansfield faisait là clairement allusion à l’affaire du duel et au précédent procès dont le fond était de toute évidence le sexe du chevalier-chevalière. Le raisonnement était spécieux. Mais comment pouvait-il en être autrement   ?
    Le 1 er juillet 1777, les jurés ne délibérèrent que deux minutes pour se prononcer en faveur de Mr Hayes. C’était reconnaître implicitement que d’Éon appartenait au sexe opposé à celui sous lequel il vivait officiellement, bien que la preuve tangible de ce que l’on considérait comme certain manquât.
    Pour comprendre ce verdict, il ne faut pas oublier l’importance des sommes en jeu.

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