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Le Chevalier d'Eon

Le Chevalier d'Eon

Titel: Le Chevalier d'Eon Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Evelyne Lever
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Ceux qui avaient parié que d’Éon était une femme (c’étaient les plus nombreux) avaient tout intérêt à obtenir raison. Mr Hayes qui avait assigné Mr Jack avait parié pour le sexe féminin. Il lui fallait trouver des témoins, quitte à les payer. On doit d’ailleurs s’étonner que les deux témoins aient pu être pris au sérieux. Morande était à priori suspect. Connu comme pamphlétaire et maître chanteur, adversaire du chevalier dans un précédent procès, il aurait dû inspirer la méfiance. Un serment ne signifiait rien à ses yeux. Cet homme qui avait refusé de se battre contre d’Éon sous prétexte que c’était une femme avait tout intérêt à inventer n’importe quel roman (tant mieux s’il était scabreux   !) et à payer un acolyte. Il y a fort à parier que le garçon chirurgien ait été son complice. On aurait pu désigner un médecin à sa place   : d’Éon avait une santé délicate   ; il devait consulter des médecins. Mais un garçon chirurgien faisait beaucoup mieux l’affaire. Il était juste assez compétent pour être pris au sérieux sur un tel sujet, sans mettre en danger une réputation qu’il n’avait pas et qu’il n’aurait sans doute jamais.

Une si grande confusion
    Fuyant la calomnie et la publicité, d’Éon passait alors le plus clair de son temps chez son ami lord Ferrers. Le procès l’avait écœuré. Le mystère de son identité sexuelle n’était ni un délit ni un crime. Il ne relevait pas de la compétence d’un jury. Si le chevalier appartenait bien au sexe féminin, il n’avait pas revêtu l’uniforme pour faire scandale. Il avait donné sa propre version du travesti sous lequel il avait vécu   ; qu’on ait livré sa personne à une curiosité malsaine, insultante, le bouleversait au plus profond de son être. Jusqu’alors, il avait joué sur l’ambiguïté de sa nature et se plaisait à entretenir le doute. Des juges avaient osé décider de son identité. On ne change pas de sexe impunément. Être reconnu comme femme par un tribunal était pour lui à la fois un blâme et un viol.
    Il était désormais pressé de retrouver la France, ne sachant plus que souhaiter. Un brouillon de lettre à l’intention de sa mère traduit son désarroi mieux que tout autre commentaire   : « Peu m’importe que le Banc du roi d’Angleterre m’ait déclaré fille ou femme   ; il ne m’a rien donné et rien ôté   ; je suis dans le même état que j’étais avant et après la guerre, in eodem statu ante bellum. Je n’ai pas perdu un pouce de terrain. Pour ma consolation personnelle, je me suis opposé à cela   ; mais mon infortune me met en si grande confusion que je crois que je suis à la fin de tous mes malheurs en me soumettant volontairement à mon sort   ; que cette dernière catastrophe, cette sanglante catastrophe sera la dernière de ma vie. J’aime mieux vivre dans un état paisible et inconnu pour y jouir de la tranquillité en ne me mêlant plus des affaires militaires et politiques d’un monde si corrompu que je les abandonne au diable d’où elles sont sorties. Qu’il les domine, qu’il les gouverne comme il voudra. Le monde entier mérite d’avoir un tel maître pédagogue. Ma retraite sera à l’avantage public et à mon bénéfice particulier. Le jugement du roi d’Angleterre contre moi est la justification de ma conduite. La prudence enforce [sic] mon obéissance. Adieu ma Bonne Mère, je me recommande à votre souvenir {200} .   » On remarquera que dans cette brève et troublante missive, d’Éon parle de lui au masculin comme il avait l’habitude de le faire avant que la rumeur de son appartenance au sexe opposé n’ait été tenue pour acquise.
    Ce procès restera un épisode fondateur de son existence. En 1785, lorsqu’il tenta d’écrire son autobiographie, il adopta un ton bien différent. « Toute mon affaire, dit-il, a été tirée au clair au Banc du roi d’Angleterre et de France, imprimée en beaux caractères et gravée au burin et à l’eau-forte. Pour moi, je me borne ici uniquement à ce qui concerne mon changement de condition aussi extraordinaire que le procès dont il n’y a point d’exemple dans les douze tribus d’Israël   » Il rend hommage à son ami Linguet présent aux audiences et qui en avait rendu compte dans ses célèbres Annales {201} . Il ajoute cependant quelques explications justifiant la déposition du garçon chirurgien. « Voulant éviter un orage mêlé

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