Le Chevalier d'Eon
parlait au nom du ministre, lui-même au service du roi.
« Je voudrais, ma chère d’Éon, lui disait-il, n’avoir jamais eu que des choses agréables à vous écrire. En ce moment même, oubliant tout ce que votre conduite a d’injuste et d’outrageant pour moi, je voudrais que M. le comte de Vergennes eût choisi pour vous répondre quelqu’un dont le ministère vous fut moins odieux. Je voudrais surtout avoir emporté sur ce ministre les points essentiels auxquels vous paraissez tant attachée. Mais indépendamment du poids que son caractère imprime à ses raisons, elles me paraissent en elles-mêmes inexpugnables et sans réplique.
« Le roi de France, me dit ce ministre, peut-il accorder à une fille un sauf-conduit qui se rapporte à l’état d’un officier ? Qui donc a servi le roi ? Est-ce Mlle ou M. d’Éon ? Si S.M., apprenant après coup la faute que ses parents ont commise en sa personne contre la décence des mœurs et le respect des lois, veut bien l’oublier et ne pas lui imputer comme un tort celle de l’avoir continuée sur elle-même en connaissance de cause, faut-il que l’indulgence du roi pour elle aille jusqu’à charger le feu roi du ridicule de son indécent travestissement, en employant cette phrase du modèle qu’elle a l’assurance de nous envoyer elle-même : Ordre de ne plus quitter les habits de son sexe, comme l’a ci-devant exigé le service du roi, mon aïeul, etc. ? Jamais le service du roi n’a exigé qu’une fille usurpât le nom d’homme et l’habit d’officier et l’état d’Envoyé. C’est en multipliant ainsi ses prétentions téméraires que cette femme est parvenue à lasser la patience du roi, la mienne et la bonne volonté de tous ses partisans. Qu’elle reste en Angleterre ou qu’elle aille ailleurs, vous savez bien que nous ne mettons pas à cela le moindre intérêt. Sur son extrême désir de repasser en France, je lui ai fait dire par vous que l’intention du roi était qu’elle n’y rentrât que sous les habits de son sexe et qu’elle y menât la vie silencieuse, modeste et réservée qu’elle n’eût jamais dû abandonner. Je n’ajouterai pas un mot à cela.
« De ma part, ma chère, j’y ai bien réfléchi. D’honneur, je ne conçois pas plus que le ministre, de quelle utilité peut vous être le nouvel essai que vous tentez sur sa complaisance. Si votre retour en France vous est indifférent, que ne vivez-vous tranquille où vous êtes avec ce que le roi vous a donné, sans revenir incessamment sur des choses faites et sans renouveler toujours des demandes inaccordables ? Si votre dessein est réellement d’y rentrer, que veut dire tout ce pointillage ? Espérez-vous un temps plus convenable, un roi plus magnanime, un ministre plus équitable, un solliciteur plus empressé, des conditions meilleures ? La vie s’use et vous languissez expatriée.
« Bonjour ma chère. »
La messe était dite. D’Éon avait plus rien à espérer du ministre ni du roi. Beaumarchais confirmait ce qu’O’Gorman lui avait déjà annoncé.
Chapitre IX Le retour de l’Amazone
L A partie semblait perdue : puisqu’il avait lui-même revendiqué son appartenance au sexe féminin auprès du ministre et du roi, d’Éon devait se transformer en femme pour regagner la France. Il était pris à son propre piège. Alors qu’il négociait les conditions de son retour, une odieuse campagne de presse se déchaîna contre lui. Lorsque son beau-frère revint à Londres porteur des ordres de Vergennes, le chevalier-chevalière allait être traduit devant le tribunal du Banc du roi.
Le retour de l’Amazone Comment le chevalier d’Éon fut reconnue femme
Le jugement rendu contre Mlle d’Éon paraissait prouver que le chevalier-chevalière était une femme. La fièvre monta chez les parieurs ; ils voulaient toucher leur argent avant le départ de l’Amazone. C’est alors qu’un chirurgien, Mr Hayes, fit assigner au Banc du Roi son adversaire Mr Jack, banquier de son état, pour avoir à lui payer les 700 £ promises s’il s’avérait que le chevalier était bien une femme. Grand émoi à Londres. Tant de choses dépendaient du verdict !
En Angleterre ce sont des jurés qui se prononcent sur le fond de la contestation ; le juge, en l’occurrence ici lord Mansfield, résume ce qui s’est dit et insiste sur ce qu’il y a de plus frappant avant que le jury rende son verdict. Lord Mansfield réunit un
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