Le Chevalier d'Eon
d’un important éditeur. Son traducteur était devenu un ami : il la voyait fréquemment sans obtenir autre chose que des bribes de manuscrits qui devaient le laisser songeur.
« A so singular occurrence »
La chevalière vivait toujours dans la gêne en compagnie de Mrs Cole. Elle souffrait, priait et attendait d’être enfin délivrée de cette vie terrestre. « Que personne donc à présent ne me donne du chagrin, de la confusion et de la douleur, car j’en ai bu le calice d’amertume, écrivait-elle ; je porte à la fois en mon cœur et en mon corps et les blessures de Satan et les flétrissures du Seigneur Jésus qui, en m’appropriant un corps à la faiblesse humaine et en me faisant vivre ici-bas sous le caractère d’homme, puis de femme, dans ce cruel combat m’a rendue victorieuse en me disant : pour vaincre, ma grâce seule te suffit et le Dieu de paix brisera Satan sous tes pieds » Au mois de mars 1810, terrassée par une attaque, elle ne put se relever.
Deux mois plus tard, le 21 mai, elle mourut doucement, veillée par Mrs Cole et par le père Élysée qui lui avait administré l’extrême-onction.
Sa compagne des mauvais jours procédant à la toilette mortuaire se crut soudain victime d’une hallucination. Elle n’en croyait pas ses yeux : Mlle d’Éon était un homme ! Comment cette femme qu’elle avait recueillie souffrante et entourée de tant de soins, à laquelle elle s’était elle-même confiée sans réticence, avait-elle pu la tromper de façon aussi indigne ? La pauvre veuve courut avertir quelques proches. Une même stupeur les figea sur place. D’un commun accord, ils décidèrent de réunir quelques experts afin de vérifier cette stupéfiante découverte (a so singular occurrence).
Le surlendemain, à l’hôpital Framdling, 26 New Millman Street, on procéda à l’autopsie de cet être singulier qui avait si longtemps défrayé la chronique et qu’on avait presque oublié. Le docteur Copeland, chirurgien légiste, mena l’opération en présence de plusieurs témoins. Il rédigea un compte rendu qui ne laissait aucun doute sur le sexe du célèbre personnage :
« Je certifie par le présent que j’ai examiné et disséqué le corps du chevalier d’Éon en présence de Mr. Adair, son exécuteur testamentaire, de Mr. Wilson, du père Élysée et que j’ai trouvé les organes mâles de la génération parfaitement formés sous tous les rapports.
William Street, le 23 mai 1810, Signé Tho. Copeland, chirurgien.
Les personnes ci-après dénommées étaient également présentes : l’Honorable W-St. Littleton, Mr Douglass, lord Yarmouth {272} , Mr Stoskins procureur, Mr J-M Richardson éditeur, Mr King et Mr Burton chirurgiens, Mr Joseph Berger Patney, Mr Joseph Bramble, Mr Jacob Delannoy {273} . »
Tous ces messieurs purent constater que le corps était bien celui d’un homme. Plusieurs autres déclarations suivaient, celle du chevalier Degères lequel, après avoir vu la dépouille « attestait qu’il constituait tout ce qui peut caractériser un homme sans aucun mélange de sexe », celle de M. de Danstanville qui donnait la même conclusion. Le comte de Béhague, futur lieutenant général des armées du roi Louis XVIII, apportait davantage d’informations : « Je déclare, disait-il, avoir connu la soi-disant Mlle d’Éon en France et en Angleterre et avoir servi dans la même compagnie en qualité de capitaine de dragons au régiment d’Harcourt en même temps que la soi-disant demoiselle d’Éon servait aussi comme lieutenant au régiment de Caraman en 1757, et qu’ayant été appelé pour identifier sa figure depuis sa mort, j’ai reconnu la même personne du chevalier d’Éon ainsi que tout ce qui constitue les parties mâles de la génération en lui et que l’on m’a fait voir son corps à découvert. » Enfin William Bouning, le propriétaire du pauvre appartement de New-William Street, proche de l’hospice des Enfants-Trouvés où vivaient les deux amies, faisait la même constatation.
Ces déclarations furent remises à l’exécuteur testamentaire de d’Éon, Mr Adair. En France, quinze ans plus tard, la loi du 29 avril 1825, dite « du milliard des émigrés » indemnisant ceux qui avaient quitté la France pendant la Révolution ou leurs héritiers, suscita l’intérêt des nièces du chevalier, Mlles de Vaulavré. Dans l’espoir de récupérer une partie de l’héritage
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