Le clan de l'ours des cavernes
plus qu'un esprit qui donnait encore une apparence de vie à son corps, mais la vraie Ayla était morte. La mort pour le Peuple du Clan n'était qu'un changement d'état, un voyage vers une autre dimension.
L'essence de la vie ne pouvait être qu'un esprit, une force invisible. Une personne pouvait être vivante et, l'instant d'après, morte sans qu'il y ait une modification notable, apparente. L'esprit d'Ayla ne faisait plus partie de leur monde ; il avait été chassé de leur réalité, et peu leur importait que le corps qui restait f˚t froid et immobile ou chaud et animé.
Par ailleurs, il leur paraissait évident que ce corps même cesserait bientôt d'exister, quand il saurait que l'esprit qui l'avait animé l'avait déserté pour le monde invisible. Personne ne croyait franchement qu'elle reviendrait jamais, pas même Brun. Son corps, cette enveloppe vide, ne pourrait jamais tenir jusqu'au retour de son esprit. Sans la vie spirituelle, le corps était incapable de manger, de boire, et il se détériorait rapidement. quand une telle croyance était aussi fermement enracinée dans les mentalités, quand les êtres aimés ne reconnaissaient plus votre existence, il n'y avait plus de raison de manger, de boire ou de vivre.
Mais aussi longtemps que l'esprit restait à proximité de la caverne, animant un corps qui en était désormais détaché, les forces qui dirigeaient cet esprit représentaient un danger pour les membres du clan. On avait déjà
vu la compagne ou le compagnon d'une personne condamnée à la Malédiction Suprême succomber à son tour peu de temps après. Aussi tout le monde désirait-il que l'esprit d'Ayla disparaisse au plus vite.
Dans un climat de tension, chacun retourna à ses occupations habituelles.
Creb et Iza se dirigèrent vers la caverne, et Ayla les suivit. Personne n'essaya de l'en empêcher et l'on se contenta de tenir Uba à l'écart. Iza fit un ballot de toutes les affaires de la jeune fille, sans oublier sa couverture de fourrure et l'herbe de sa paillasse, qu'elle sortit avec l'aide de Creb de la caverne. Après en avoir fait un gros tas sur un b˚cher prêt à être allumé, elle rentra précipitamment tandis que le sorcier y mettait le feu.
Avec un désespoir croissant, Ayla vit Creb nourrir les flammes de tous ses biens. Si son ch‚timent n'exigeait pas de cérémonie célébrant sa mort, toutes traces de son existence devaient être effacées ; rien de ce qui pouvait l'inciter à revenir ne devait subsister. Elle vit son b‚ton à fouir jeté au feu, puis son panier, ses vêtements de peau. Lorsque Creb saisit sa fourrure favorite, ses mains tremblèrent légèrement. Il la serra un instant contre son coeur avant de la jeter dans les flammes...
- Creb, je t'aime, s'écria Ayla, en larmes.
Le sorcier ne semblait pas la voir ; il ramassa la petite sacoche de guérisseuse qu'lza avait confectionnée juste avant la fatale chasse au mammouth, et la jeta dans le b˚cher.
- Non, Creb, non ! Pas mon sac de guérisseuse ! gémit Ayla, le coeur brisé.
Mais il était trop tard, le cuir commençait déjà à se racornir sous l'effet de la chaleur.
Incapable d'en supporter davantage, Ayla, aveuglée par les larmes, s'élança dans le sentier, puis s'enfonça dans la forêt en courant éperdument. Elle traversa comme une folle les épais taillis et les branches qui obstruaient le passage, indifférente aux égratignures qui lui striaient les bras et les jambes. Puis elle traversa la rivière glacée, insensible au froid qui lui engourdissait les pieds, et alla s'écrouler dans l'herbe mouillée, souhaitant de tout son coeur que la mort vienne au plus vite mettre un terme à ses souffrances.
La jeune fille risquait fort de voir se réaliser ce souhait. Isolée dans son monde de chagrin et de peur, elle n'avait ni mangé ni bu depuis son retour il y avait plus de deux jours. Elle ne portait aucun vêtement chaud, et ses pieds étaient bleuis de froid. Faible, déshydratée, l'hypothermie et la mort la guettaient. Mais du tréfonds d'elle-même monta le même désir qui l'avait poussée à survivre, quand elle avait erré seule, toute petite alors, après la disparition des siens dans un tremblement de terre. Elle parvint tant bien que mal à se relever, flageolant sur ses jambes, les pieds engourdis par le froid. Elle se laissa conduire par l'habitude et, sans y penser, emprunta le chemin familier qui conduisait à
sa prairie. Dégageant l'épais feuillage qui dissimulait
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