Le clan de l'ours des cavernes
moindre alternative pour ses lendemains. Tout le savoir des gens du Clan, toutes leurs actions n'étaient que la répétition de ce qui avait déjà été fait avant eux. Même constituer des provisions de nourriture lors des changements de saisons était le fruit d'une expérience non pas acquise mais héritée.
Il y avait eu un temps, un temps très lointain, o˘ innover, inventer était plus facile, o˘ l'arête tranchante d'une pierre avait donné à quelqu'un l'idée de fendre une pierre dans le seul but d'obtenir une arête tranchante, o˘ un b‚ton durci accidentellement au feu avait donné l'idée de durcir au feu les pointes des épieux. Mais à mesure que les souvenirs s'étaient accumulés dans les esprits, les changements s'étaient faits plus rares. Dans leurs cerveaux saturés par les connaissances acquises au cours des ‚ges, il n'y avait plus de place pour les idées nouvelles. Les cr‚nes, déjà énormes, ne pouvaient grossir encore sans rendre les accouchements de plus en plus douloureux, voire impossibles.
Le Peuple du Clan vivait selon des coutumes inchangées. Chaque facette de la vie, depuis la naissance jusqu'au moment o˘ les esprits vous rappelaient dans le monde invisible, était calqué sur le passé. La survie de la race exigeait cet immobilisme, et cependant ce dernier les condamnait tôt ou tard à disparaître.
Leur adaptation était lente. Les inventions étaient toujours le fruit d'un hasard, et encore n'étaient-elles presque jamais utilisées. Changer leur co˚tait trop d'effort, et une race qui n'avait pas de place pour des connaissances nouvelles, pas de place pour évoluer, se retrouvait désarmée face à un environnement en évolution constante. Leur développement était achevé, du moins dans la direction qu'ils avaient prise de corps et d'esprit. Il ne pourrait y avoir de progrès pour l'espèce que sous une forme nouvelle, un nouveau spécimen.
Et Mog-ur, assis seul dans l'herbe de la steppe, regarda la flamme de la dernière torche vaciller et s'éteindre en pensant à l'étrange fillette qu'Iza avait recueillie. Il avait déjà eu l'occasion de rencontrer les Autres, mais il ne gardait pas un bon souvenir de ces rencontres. D'o˘
venaient ces gens restait un mystère, et certes, ils étaient étrangers aux contrées o˘ vivait le Clan. Cependant des choses avaient changé depuis leur arrivée. Ils semblaient apporter le changement avec eux.
Creb chassa le trouble qui s'était emparé de lui à ces pensées. Il rangea avec précaution le cr‚ne de l'ours des cavernes dans un pli de sa fourrure et, saisissant son b‚ton, il s'en revint en boitant vers le campement.
L'enfant se retourna et commença à s'agiter.
- Ma-man, gémit-elle. (Puis, battant l'air de ses bras, elle appela de nouveau, plus fort :) Ma-man !
Iza l'attira contre elle en murmurant tendrement à son oreille. La chaleur de son corps ainsi que les sons apaisants pénétrèrent l'esprit enfiévré de la fillette qui se calma. Elle avait dormi par à-coups, réveillant fréquemment la femme par ses sursauts, ses plaintes et son délire. Les sons étaient étranges, fort différents de ceux prononcés par le Peuple du Clan. Ils se succédaient aisément, avec une grande facilité, un son entraînant l'autre. Iza était bien incapable de les saisir dans leur totalité car son oreille n'était pas préparée à percevoir leurs subtiles variations. Mais ceux que l'enfant venait de pousser étaient revenus si souvent qu'lza en déduisit qu'ils devaient désigner quelqu'un de très proche pour la fillette, et comme celle-ci s'apaisait à son contact, elle comprit leur signification.
Elle ne peut pas être très ‚gée, pensa Iza, car elle n'a manifestement pas su trouver de quoi manger. Je me demande pendant combien de temps elle a erré seule ? qu'a-t-il bien pu arriver à son peuple ? Le tremblement de terre ? La petite aurait tenu si longtemps ? Et comment a-t-elle pu se tirer des griffes d'un lion des cavernes avec quelques égratignures ? Iza avait soigné assez souvent ce genre de blessures pour connaître leur provenance. De puissants esprits doivent la protéger, conclut-elle.
L'aube naissait mais l'obscurité était encore profonde quand la fièvre provoqua une brusque suée. Iza s'assura que l'enfant était bien couverte et la garda au chaud tout contre elle. La petite fille se réveilla peu après et se demanda o˘ elle se trouvait, mais il faisait trop sombre pour y voir quelque chose.
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