Le Code d'Esther
tablier. D’accord, il manque un « s », mais je ne peux m’empêcher d’éprouver un léger malaise.
Sitôt rentrés de Jérusalem, nous nous étions jetés à corps perdu dans le travail. Notre nouvel objectif : retrouver les traces d’un Aman proche de Hitler. Mais par où commencer ? Sa naissance à Braunau am Inn, en Autriche, où il grandira sous la férule d’un père autoritaire ? Sa jeunesse à Vienne alors qu’il essaie vainement d’être admis à l’Académie des beaux-arts ? Son engagement pendant la Première Guerre mondiale, au cours de laquelle il sera plusieurs fois blessé ? Ou alors son entrée en politique dès l’annonce de l’armistice de 1918, ressenti comme un véritable « coup de poignard » ? De rapides recherches et la lecture de nombreux livres avaient enrichi ma connaissance sur le sujet mais n’avaient livré aucun secret. Je décidai alors d’entamer l’enquête par la première manifestation intempestive de sa carrière, l’événement fondateur du nazisme : le coup d’État manqué de la brasserie de Munich.
Dans la soirée du 8 novembre 1923, à la Bürgerbräukeller, établissement renommé de la capitale bavaroise où sont engloutis chaque jour des milliers de litres de bière, Hitler réunit ses principaux collaborateurs : Hermann Göring, Ernst Röhm, Rudolf Hess, Henrich Himmler et un certain… Julius Streicher. Soutenu dans un premier temps par le triumvirat dirigeant la Bavière, le futur Führer compte rallier à sa cause les forces armées et la police. Manque de préparation, improvisation, inexpérience : le putsch tourne court et, le 11 novembre, Hitler est arrêté. Il sera condamné à cinq ans de prison et détenu à la forteresse de Landsberg. Il n’y restera finalement que neuf mois mais en profitera pour écrire le manifeste du national-socialisme : Mein Kampf . Après cet épisode, plus rien ne s’opposera à l’irrésistible ascension d’un petit caporal de l’armée allemande.
Le chantier était vaste, mais la bibliographie ne manquait pas – et, même si des dizaines de livres avaient été écrits sur cette période, certaines zones d’ombre subsistaient concernant ses mois de détention à Landsberg. Sans compter que la perspective de l’enquête sur le terrain, dans cette Bavière catholique et traditionaliste, ne me déplaisait pas.
De façon un peu mystérieuse, Yohan avait immédiatement adhéré à ma proposition.
« Très bonne idée ! Tu pars quand ? m’avait-il demandé avec un léger sourire.
— Le temps de préparer le voyage, de faire quelques recherches et de prendre des contacts sur place. Tu as une idée derrière la tête ?
— Pas grand-chose… Mais ce serait bien de gratter du côté de Mein Kampf … Que la force des Ravs soit avec toi !
— Alors, si nous avons leur bénédiction, plus rien ne s’oppose à mon déplacement ! » avais-je répondu en éclatant de rire.
Quelques heures plus tard, je n’allais plus rire du tout.
Cette fois-ci, je pars avec Axel, mon ami allemand, qui, outre sa maîtrise de la langue germanique, possède une solide connaissance de la Bavière. Il m’a déjà aidé, depuis Paris, à obtenir un certain nombre de mes rendez-vous en Allemagne. En glanant des informations sur cette petite ville de Bavière, j’ai découvert l’horreur absolue : l’existence à Landsberg d’un univers concentrationnaire. Pas moins de onze camps d’extermination avaient été bâtis aux environs de la ville. Demandez autour de vous, on vous citera Auschwitz, Dachau, Birkenau, que sais-je ? Personne ne citera Landsberg. Pourquoi ? Que s’y est-il passé pour qu’on occulte à ce point ce haut lieu de mort ? Des milliers d’hommes et de femmes y ont été massacrés et seuls quelques spécialistes le savent, uniques réceptacles de la mémoire. C’est pourtant le premier camp que les Américains découvriront en 1945. Pourquoi cette amnésie ?
Je noircis le trait : il y a quelques années, Steven Spielberg et Tom Hanks ont consacré un épisode de leur remarquable série Band of Brothers à la libération de Landsberg, mais le nom de la ville était à peine mentionné. Le film, bouleversant, s’intitulait Pourquoi nous combattons , un titre que je décide, un peu pompeusement, de reprendre à mon compte. En quelques heures de recherches, Landsberg est pour moi devenue la parabole parfaite de l’Allemagne nazie : tout était parti de
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