Le Code d'Esther
centre d’incarcération pour les criminels de guerre nazis. Près de 1 500 d’entre eux y seront détenus, et 275 exécutés par pendaison, parmi lesquels figurent les principaux condamnés du procès des Einsatzgruppen . La forteresse sera fermée en 1958 avant d’être réhabilitée en 1966 sous l’autorité du ministère bavarois de la Justice. Aujourd’hui, après une transformation radicale des locaux visant à effacer toute trace de ses principaux occupants nazis, elle abrite des détenus de droit commun.
Une cellule nous intéresse. Elle se situe au premier étage, de l’autre côté du bâtiment, invisible depuis la rue où nous nous trouvons. Durant des années, elle fut l’objet d’un véritable culte pour avoir abrité un hôte illustre : Adolf Hitler.
Au lendemain du putsch manqué de la Brasserie, en novembre 1923, le futur Führer est incarcéré à Landsberg. Furieux, il menace de se suicider si ses conditions de détention ne sont pas améliorées. Un psychologue l’examine et pose sur lui un diagnostic sans appel : Adolf Hitler est hystérique, animé de pulsions morbides et dangereux. Très vite, pourtant, ce détenu un peu particulier va se calmer. D’abord parce qu’un certain nombre de ses camarades d’infortune le rejoignent en prison : Rudolf Hess, l’ami de la première heure, et Emil Maurice, son futur chauffeur, notamment. Ensuite parce que le directeur de la prison, Otto Leybold, largement acquis aux idées de Hitler, va tout faire pour transformer sa détention en une agréable villégiature : il met à sa disposition une cellule individuelle, propre et disposant, à travers les barreaux, d’une vue sur la campagne bavaroise – une photo prise par son photographe personnel, Heinrich Hoffmann, montre Hitler impeccablement vêtu, les yeux fixés vers l’horizon, au-delà de sa fenêtre grillagée. Il octroie au petit groupe de putschistes une salle à manger où ils peuvent se retrouver à tout moment de la journée ; il autorise les visites illimitées d’amis ou de sympathisants. Selon les registres de la prison, Hitler recevra 489 visiteurs durant les neuf mois de sa détention – presque deux par jour en moyenne –, qui le couvriront de cadeaux et lui apporteront les mets les plus raffinés. Lors de son anniversaire, le 20 avril 1924, dix-neuf jours seulement après le début de son incarcération, plus d’une trentaine d’invités se pressent dans sa cellule et la salle à manger, les bras chargés de fleurs et de gâteaux. En moins de deux semaines, il a réussi à se constituer un domaine où il règne en maître. Il est choyé, adulé. Il est temps pour lui d’utiliser sa période de détention pour poser par écrit les lignes de force de son programme.
Il lui faut une machine à écrire, du papier, des crayons, des gommes et du papier carbone. Il a besoin d’un bureau sur lequel travailler. Ses amis répondent présents pour lui permettre de mener à bien son projet. Emil Georg von Stauss, directeur de la Deutsche Bank et grand bienfaiteur du Parti national-socialiste, lui offre la dernière Remington mise sur le marché. Un sympathisant trouve dans un magasin de Landsberg la table qui lui permettra d’écrire à son aise. Winifred Wagner elle-même, belle-fille du compositeur et grande admiratrice du futur Führer, se charge du matériel de papeterie, en s’étonnant du soudain engouement d’Adolf Hitler pour la littérature.
Et Hitler se met à écrire. Des heures durant, il s’isole dans sa cellule pour coucher sur le papier les idées fondatrices du nazisme. Parfois, il préfère dicter ses pensées à l’un de ses collaborateurs. Chaque matin, à la salle à manger, il retrouve ses codétenus et leur lit ce qu’il a rédigé la veille. S’engagent alors des discussions passionnées où le jeune chef du Parti national-socialiste se révèle théoricien, meneur d’hommes et brillant orateur. Bientôt, ses qualités débordent le strict cadre de la prison. On lui envoie des livres de toute la République de Weimar. Il se plonge dans les ouvrages de Nietzsche, mais aussi de Bismarck et de Marx. Il lit et il écrit sans discontinuer. Il va peu à peu se forger une philosophie hybride, mélange improbable de théories raciales fumeuses dominées par un antisémitisme virulent et de théories économiques à l’emporte-pièce. Paradoxalement, sa détention lui donnera le loisir d’apporter la pierre manquante à son
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