Le Code d'Esther
cela a servi à quelque chose. On fait tout ici pour effacer ces camps de la mémoire. Vous savez qu’en Allemagne les élèves doivent obligatoirement faire un voyage avec leur classe dans un camp de concentration ? Eh bien, ceux de Landsberg ne viennent jamais ici ! On les envoie à Dachau, à 60 kilomètres d’ici ! Vous comprenez, monsieur ?
— Et les fosses communes, les baraquements des hommes ?
— Comme je vous l’ai dit, ils se trouvent sur le terrain appartenant à la Ville. On ne peut pas les visiter. Si on ne fait rien, il y aura peut-être bientôt un centre commercial à leur emplacement ! »
Et il éclate d’un rire puissant qui se répercute jusqu’à la forêt. La visite est terminée. Anton enfourche son vélo et ouvre son parapluie. Il repart avec ses clés, sa sacoche bourrée de photos en noir et blanc datant de la libération du camp, et son combat pour faire de son terrain un lieu de mémoire pour l’éternité – « Juste pour témoigner de ce qu’il advient quand la folie est au pouvoir et qu’il n’existe plus de règles », nous a-t-il glissé tout à l’heure.
« Au fait, nous lance-t-il au moment de nous quitter. Vous êtes allés voir la prison de Landsberg ?
— Nous comptons nous y rendre demain.
— Je vous conseille d’y aller ce soir un peu avant 19 heures. Il y a une petite église qui jouxte la prison… Vous ne pouvez pas la rater. Elle abrite le “cimetière des pendus”, les nazis qui ont été exécutés à la prison après 1945. Vous aurez le temps de le visiter avant la messe. Vous verrez un bouquet de tulipes sur une tombe. C’est celle d’Oswald Pohl. Une main inconnue la fleurit régulièrement… Quand je vous dis que cette ville n’a toujours pas réglé ses comptes avec son passé ! Vous comprenez, monsieur ? »
Et il nous laisse, suspendus à ses coups de pédale, pour affronter le vent et la pluie.
Aman à Landsberg
L e lourd carillon de la cathédrale sonne 18 heures lorsque nous arrivons devant la prison de Landsberg. La bâtisse est imposante, avec son porche central en arc flanqué de deux grosses tours de briques roses coiffées de bulbes verts, à la manière des églises de la ville, donnant curieusement une touche orientale à l’architecture générale de l’édifice.
La pluie a cessé et la température s’est radoucie. Nous en profitons pour faire quelques pas le long du mur d’enceinte, surmonté de barbelés courant sur plus d’une centaine de mètres. La rue est déserte, surveillée à chaque extrémité par deux postes de garde ; les sentinelles doivent se demander qui sont ces deux individus qui se promènent, le nez en l’air, devant la forteresse. Je n’ose imaginer ce qu’ils penseraient s’ils savaient que nous sommes à la recherche d’un certain Aman. Pour le moment, il faut bien avouer que notre enquête est au point mort. Il est vrai que nous ne sommes à Landsberg que depuis vingt-quatre heures. J’ai entrepris ce voyage mû par l’intuition un peu folle que je découvrirais ici, dans l’entourage de Hitler, l’ombre d’un Aman du xx e siècle, mais pas un instant je n’ai imaginé que dès notre arrivée nous allions retrouver sa trace dans les ruelles de la vieille ville. Du reste, rien ne prouve que je ne sois pas en train de me fourvoyer : après tout je ne suis pas du tout sûr d’adhérer aveuglément, comme le fait Yohan, aux thèses des rabbins que nous avons rencontrés à Jérusalem. J’ai passé en revue tous les personnages liés à la création puis à la libération des camps de concentration, les Américains comme les Allemands… Mais rien, pas la moindre piste sérieuse. Certes, Landsberg a suscité des émotions violentes, enfouies à présent au plus profond de mon esprit, et qui ne me quitteront probablement plus jamais, ainsi que le sentiment de m’être approché au plus près de la Bête immonde… Des épreuves qui font sans doute partie de la quête, qui y sont inhérentes, constituant peut-être le chemin obligatoire et nécessaire avant la découverte de ce singulier Graal ; comme toutes ces fausses évidences devant lesquelles il est urgent de se montrer patient en ne négligeant aucune information. C’est la raison de notre présence à cet instant, au pied des murs de cette prison tristement célèbre.
Landsberg est étroitement associée au procès de Nuremberg. À partir de 1945, sa prison deviendra le principal
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