Le Code d'Esther
retrouvé quelques comptes, pas de très grande importance. Un nom en particulier me vient à l’esprit : celui d’un général de la Waffen-SS, Hans Kammler.
— Hans Friedrich Karl Franz Kammler », annonce fièrement Axel.
À peine le nom prononcé, il l’a tapé sur son iPad et nous livre le résultat de sa recherche :
« Ingénieur civil né en 1901, il se retrouve Obergruppenführer à la fin de la guerre. Responsable du programme des missiles V2… Les circonstances de sa mort restent mystérieuses et contradictoires… Plusieurs chasseurs de nazis restent persuadés qu’il n’est pas mort à la fin de la guerre, comme un certain nombre de ses camarades ont voulu le faire croire. »
L’intervention intempestive d’Axel et de sa technologie portative a un peu déstabilisé nos hôtes. J’en profite pour émettre un commentaire ambigu, de quoi inverser le rapport de force :
« Un nazi dont la mort n’a jamais pu être prouvée… Intéressant ! »
Notre interlocutrice jette un regard effrayé vers son collègue. Celui-ci, d’un mouvement du menton, lui fait signe de continuer.
« En revanche, reprend-elle, concernant les avoirs juifs, je suis fière d’y avoir travaillé pendant quatorze ans. Avec toute une équipe de collaborateurs, nous n’avons pas ménagé notre peine, et, en 1998, un accord a été finalement conclu avec un ensemble d’organisations juives : les banques suisses se sont engagées à verser 1,25 milliard de dollars sur un compte bloqué à New York. Je ne me souviens pas du nom de cette juridiction, mais c’est elle qui était chargée de reverser l’argent entre particuliers spoliés et fondations d’entraide.
— Donc, dis-je, aucun problème de ce côté…
— Je dois toutefois reconnaître qu’aujourd’hui encore une chose m’attriste : beaucoup de victimes ou d’enfants de victimes pensaient que l’on devait payer pour ce qu’ils avaient souffert, que c’était à la banque qu’il incombait de payer ! J’avoue que ces situations me mettaient extrêmement mal à l’aise. »
Elle paraît sincère. Pour un peu, elle aurait presque réussi à nous émouvoir à l’évocation de ces survivants meurtris, en colère contre l’institution bancaire. Je reprends la main :
« Mais revenons aux comptes nazis. J’ai ici, sous les yeux, un article d’un journal britannique faisant état d’un compte ouvert par Adolf Hitler au nom de Max Amann pour recevoir les droits d’auteur de Mein Kampf … »
Et soudain, alors que rien ne le laissait prévoir, elle éclate de rire. Son hilarité ne dure que quelques secondes mais plonge tous les occupants de la pièce dans un grand trouble. Déjà, elle se reprend et assume sa défaillance :
« C’est un mythe, répond-elle, un vrai mythe !
— Qu’est-ce qui vous fait rire ? J’ai dit quelque chose de drôle ?
— Mais c’est parce que… cette question revient périodiquement. Elle refait surface sans arrêt depuis des années. Notre réponse est simple et elle n’a jamais varié : il n’existe pas de comptes “Mickey Mouse” chez nous !
— Comptes “Mickey Mouse” ? C’est un nom de code ?
— Des comptes prête-noms. Nous n’en avons jamais ouvert. Tous ceux qui se sont succédé dans ces locaux le savent. Il n’y a jamais eu de compte ouvert par Adolf Hitler au nom de Max Amann dans cette banque ou dans une autre. Je vous le certifie. »
Nous n’en saurons pas davantage. Nous nous retrouvons sur la Bahnhofstrasse un peu déçus, même si le jeu était inégal : nous n’avions aucun moyen de vérifier si ce qu’elle disait était vrai ou non. Seul son rire a semblé la trahir. Nervosité ? Agacement, comme elle l’a justifié ? Le compte « Mickey Mouse » gardera son secret…
Les terrasses se vident le long de la Limmat. Le soleil a disparu et la fraîcheur est revenue. Les trams traversent silencieusement la ville. En regagnant l’endroit où nous avons garé la voiture, nous passons devant une librairie. Certes, Mein Kampf n’est pas en vitrine, mais la Suisse n’en reste pas moins l’un des rares pays d’Europe où l’ouvrage maudit est toujours en vente libre.
6 . Antoine Vitkine, Mein Kampf, histoire d’un livre (Flammarion).
7 . Rapporté par Antoine Vitkine ( op. cit. ).
V
Ce que savaient les nazis
F aut-il croire au hasard ? Arrivé à ce stade de l’enquête, la question a totalement envahi mon esprit au point de
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