Le Coeur de la Croix
menottes, de couteaux à viande, de brise-mâchoires, de
fers à marquer, de scies, de pinces et de poucettes, de crochets, d’hameçons,
d’entonnoirs, d’étaux et autres objets aux angles impossibles qui constituaient
l’ordinaire du bourreau.
Morgennes fit un pas dans la pièce et se tourna vers le
jeune chevalier resté à la porte.
— Puisse savoir le nom de mon bourreau ?
demanda-t-il.
— Simon de Roquefeuille, répondit le jeune homme.
— J’ai connu un Arnaud de Roquefeuille, dit Morgennes.
— Mon frère, dit Simon, intrigué. Où l’avez-vous
rencontré ?
— À la bataille de Hattin, peu avant sa mort…
Simon eut l’air choqué. Il avait envie d’en savoir plus,
mais, derrière eux, le turcopole lança :
— Beau doux sire, cette ordure cherche à vous amadouer,
ne l’écoutez pas…
— Je sais ce que je fais, rétorqua Simon.
Le turcopole eut l’air vexé. Morgennes en profita :
— Depuis quand les sous-fifres donnent-ils des ordres
aux chevaliers ?
Piqué au vif, le turcopole lui envoya un tel coup de pied
dans le bas du dos que Morgennes partit, tête la première, s’écraser contre
l’établi du bourreau.
— Remonte immédiatement ! ordonna Simon au
turcopole. Je te rappelle qu’un soldat ne doit en aucun cas perdre son calme.
Je parlerai de toi au prochain chapitre !
Le turcopole repartit vers l’escalier en bougonnant, les
laissant dans l’obscurité.
— L’imbécile ! s’exclama Simon en courant après
lui pour récupérer la torche.
Dès qu’il fut seul dans le noir, Morgennes chercha à tâtons
un instrument susceptible de l’aider à se débarrasser de ses chaînes, ou de lui
servir d’arme. Ici, il n’avait que l’embarras du choix, et mit la main sur une
grosse paire de tenailles. Il s’apprêtait à l’utiliser, lorsque Simon revint
avec la torche. Morgennes serra la lourde paire de pinces, se préparant à
l’abattre de toutes ses forces sur la tête du jeune homme.
C’est alors qu’une voix retentit dans le souterrain :
— Simon ?
C’était Cassiopée.
— Oui ? répondit aussitôt Simon. Qu’y
a-t-il ?
Entre les deux jeunes gens s’engagea bientôt un dialogue que
Morgennes mit à profit pour tenter de se libérer. Ce n’était pas facile. Il
s’aida de la table pour caler les tenailles, mais celles-ci glissaient
toujours. Il n’arrivait pas à entamer ses fers. Se rappelant avoir vu un étau
et une grande lime, il les chercha à l’aveuglette parmi les différents outils
de l’établi, trouva enfin la lime, la fit tomber par terre ! Le bruit
attira l’attention de Simon. Cassiopée, profitant de ce qu’il ne la regardait
plus, passa rapidement ses bras à l’extérieur de sa cellule, l’agrippa par les
épaules, le fit tomber d’un coup de pied au tibia et lui cogna violemment la
tête contre les barreaux de sa prison.
Simon s’effondra, et la torche roula par terre en
grésillant, menaçant de s’éteindre.
— Par ici ! souffla Cassiopée à Morgennes.
Abandonnant ses instruments, Morgennes se dirigea vers la
torche que Cassiopée cherchait à attraper avant qu’elle ne s’éteigne
complètement.
— Les clés ! Prenez les clés, vite !
dit-elle.
Morgennes s’agenouilla, prit le flambeau et le lui donna.
— Tenez-moi ça, on y verra mieux.
À la lumière de la torche, Morgennes retourna le corps
inerte de Simon pour s’emparer du trousseau de clés qui pendait à sa ceinture,
puis ouvrit la grille du cachot.
Une fois dehors, Cassiopée s’exclama :
— Grâce à Dieu, vous êtes en vie !
— Grâce à vous, dit Morgennes en lui prenant la main.
Et vous, comment vous sentez-vous ?
— Comme vous… Je suis contente de vous revoir, j’ai
l’impression que… Je parle trop, préoccupons-nous plutôt de sortir d’ici !
Morgennes leva ses poignets enchaînés.
— Je m’en charge, fit Cassiopée.
Ils prirent les armes et le ceinturon de Simon,
l’enfermèrent dans la cellule et repartirent précipitamment vers l’antre du
bourreau. Là, Cassiopée s’empara de l’énorme paire de tenailles qui servait à
broyer les os, et brisa les chaînes de Morgennes.
— Donnez-moi ça, dit Morgennes en prenant à Cassiopée
la grosse paire de pinces. Ça me servira d’arme.
De retour dans le corridor principal, Morgennes montra le
cachot où gisait le corps de l’adolescent :
— Savez-vous qui c’est ?
— Un jeune homme qu’ils ont torturé à mort.
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