Le Coeur de la Croix
s’il désobéissait. C’est alors que, dans un bruit de ferrailles,
la herse de la barbacane s’abattit lourdement derrière lui, l’emprisonnant dans
la première enceinte de La Fève. Comme il voyait s’abaisser la seconde herse,
juste en face, il dit :
— Je me rends.
Mais c’était compter sans le tempérament impétueux
d’Isabeau, qui se cabra et rua des quatre fers quand Morgennes voulut descendre
de selle. Les turcopoles et le Templier furent jetés à terre, et Morgennes dut
s’accrocher au cou de sa monture pour ne pas tomber. Reprenant confiance en sa
bonne étoile, il éperonna les flancs d’Isabeau, et fila en direction de la
seconde herse, qu’il parvint à franchir de justesse en s’aplatissant sur son
encolure. Il était à présent dans la cour intérieure du château, et profita
d’un répit pour examiner les lieux. Avisant le chemin de ronde où se tenaient
les archers, il raffermit sa prise sur les rênes de sa monture, et la conduisit
avec force coups de genoux vers un petit escalier qui semblait y mener.
« De là, se disait-il, je pourrai sauter sur la barbacane, et m’enfuir à
nouveau. Quitte à revenir après… »
Comme il gravissait le petit escalier, quelques hommes en
descendirent à toute allure, et tentèrent d’attraper Isabeau par la
bride ; mais Morgennes les repoussa brutalement, du poing et du pied,
faisant chuter l’un d’eux sur les pavés de la cour – contre lesquels il
s’écrasa dans un fracas de métal.
Sur l’ordre de l’homme au turban, une première volée de
flèches s’abattit sur Morgennes, mais la plupart se brisèrent sur les marches
de pierre ou se fichèrent dans son armure sans lui faire de mal. Par chance,
aucune n’avait touché Isabeau – au contraire, une flèche avait atteint à
la gorge l’un des turcopoles, qui s’effondra dans d’affreuses convulsions.
Sans arme, Morgennes avait le plus grand mal à se défendre
des soldats – Templiers et turcopoles – qui le menaçaient, qui de son
épée, qui de sa lance ou de sa masse. S’il parvenait à les chasser à gauche,
ils revenaient à droite, sans lui laisser de répit. Et de partout fusaient des
cris lui commandant de se rendre. Mais il n’écoutait pas, uniquement préoccupé
de se sortir de cette nasse métallique.
Se rappelant soudain le vexillum de saint Pierre
qu’il portait accroché à sa selle, il s’en saisit comme d’une arme et le fit
tournoyer au-dessus de lui :
— Par l’Église de Rome ! Je suis en mission pour
le pape !
(Cette affirmation, bien que mensongère, lui avait paru sur
le moment la plus appropriée.)
Le calme se fit peu à peu. Dans la cour, tous regardèrent,
ébahis, la bannière de la papauté : l’étendard avait par endroits des
taches de sang, que Morgennes cherchait à leur dissimuler en plissant les
parties rougies du tissu. Il parvint à grimper jusqu’au chemin de ronde, et
calcula que la courtine menant à la barbacane devait se trouver juste
au-dessous de lui, à une distance qu’il évaluait à quelques pas
seulement – un saut qu’avec un peu de chance Isabeau devrait pouvoir
réussir. Manœuvrant avec le plus de précautions possible, Morgennes la mena en
face d’un créneau, dans l’intention de sauter. Mais un carreau d’arbalète
siffla dans le soir, et déchira le saint étendard.
— Qu’as-tu à nous apprendre que nous ne sachions
déjà ? demanda d’une voix hostile l’homme au turban, dont l’arbalète à
deux plateaux était toujours pointée sur Morgennes.
Morgennes tira sur les rênes d’Isabeau et regarda l’homme au
turban – il s’agissait bien sûr de Wash el-Rafid, mais Morgennes ne le
connaissait pas.
— Des Templiers vont venir, dit Morgennes. Mais ils
n’auront de Templiers que l’apparence, malgré la présence à leurs côtés de
Gérard de Ridefort et de la Sainte Croix. En fait ce sont des Sarrasins, il ne
faut pas leur obéir…
Wash el-Rafid considéra Morgennes d’un air amusé, puis
désigna de la pointe de son arme l’étendard de saint Pierre :
— Ce vexillum ne t’appartient pas, tu ferais
bien de le lâcher…
— Jamais, répliqua Morgennes.
En guise de réponse, un second carreau lui arracha
l’étendard des mains. La bannière flotta un instant, indécise, dans la brise du
soir, puis un souffle de vent l’emporta. Morgennes se préparait à la suivre,
lorsqu’une autre voix s’éleva :
— À ta place, je ne bougerais
Weitere Kostenlose Bücher