Le Coeur de la Croix
en était sûr, grâce à
elle, ils vaincraient ces barbares, ces odieux sbires de Lucifer. Car les
Maraykhât étaient des lâches. Ils se battaient non pas courageusement, mais
avec une sorte de folie qui les tenait loin de la mort et de la crainte qu’elle
inspire. Sitôt qu’elle apparaîtrait sur le champ de bataille, les Maraykhât
s’enfuiraient. Il s’était dit aussi que sa tenue de Templier blanc les
impressionnerait peut-être – enfin, qu’elle les déstabiliserait.
Le fracas du combat redoublant d’intensité, il était
ressorti, muni pour seule arme de la croix tronquée, qu’il tenait à deux mains
comme une épée de chevalier. Passant non loin de Cassiopée, il hurla :
— Dieu le veut !
Simon débordait d’une force prodigieuse. Dès qu’il fut au
contact de l’ennemi, un formidable tumulte de sons et d’odeurs l’assaillit. Aux
plaintes des mourants s’ajoutaient la vocifération des vainqueurs, le chant des
cordes d’arcs, le vrombissement des billes de fronde, la plainte des impacts,
le tonnerre des cavalcades et, partout, une odeur de sueur et de sang, mélangée
à la peur, une odeur de foudre chargée de violence, dont il s’enivra.
Loin de terroriser les Maraykhât, la vue de la Vraie Croix
les fit se jeter sur Simon, qui, plein de folie téméraire, la leva en
criant :
— Montjoie ! Montjoie !
Puis il courut sus à ceux qui le chargeaient et asséna un tel
coup dans la poitrine d’un cavalier, qu’il le vida de ses étriers.
— Gloria, laus et honor Deo in excelsis !
hurla Simon plein de joie.
Il s’était éloigné de Cassiopée, qui, voyant cavaler un
éléphant vers lui, s’exclama :
— Quel idiot ! Il va se faire tuer !
Simon, tout à sa victoire, n’entendit pas l’éléphant qui
venait sur son flanc. Curieusement, il n’avait pu s’empêcher de regarder la
croix au-dessus de lui. Isolé du reste du monde, il ne pensait plus qu’au Christ.
Il n’y avait plus aucun bruit, plus aucune odeur : il n’y avait que Dieu,
Jésus et une plume de perroquet.
Une plume de perroquet ?
Simon reprit ses esprits et vit s’envoler, dans un
formidable bruissement d’ailes, les derniers perroquets de l’oasis, dont l’un
avait perdu une plume. La suivant des yeux, Simon aperçut à deux lances de lui
un rectangle gris, surmonté d’une sorte de panier en paille tressée, d’où trois
archers tiraient des flèches. L’une d’elles se ficha dans le bois de la Vraie
Croix, qui vibra dans ses mains. L’éléphant n’était plus qu’à quelques pas.
Enfin, il leva sa trompe pour barrir, et l’abattit puissamment sur Simon, qui
s’écroula, sonné. Puis la croix lui retomba sur la tête, lui faisant une
troisième bosse au milieu du front. Il tendit la main pour la récupérer,
lorsque l’éléphant enroula sa trompe autour et la souleva pour lui en fendre le
crâne.
— Le diable ! s’écria Simon en roulant sur le
côté. C’est le diable !
Il se releva avec l’énergie du désespoir et, bien que
désarmé, se jeta sur l’éléphant. Il voulait l’escalader afin de récupérer la
Vraie Croix – qu’il croyait entre les mains de Lucifer. Sur le dos de
l’éléphant, debout dans le howdah, trois Maraykhât l’attendaient, le menaçant
de leur kandjar. Ils avaient un étrange tatouage sur les mains : une toile
d’araignée blanche, représentant en filigrane la main de l’Imam qui, par-delà
la mort, guide ses enfants vers la gloire et le trépas.
C’est alors que Simon sentit qu’on le tirait en arrière. Il
s’accrocha fermement aux courroies qui maintenaient la nacelle sur l’éléphant,
refusant de céder avant d’avoir atteint le sommet de ce démon et de lui avoir
repris la Vraie Croix.
— Imbécile ! C’est moi ! fit une voix dans
son dos.
C’était Taqi ad-Din.
Simon lâcha prise et se laissa tomber en arrière. Taqi le
saisit par la cotte de mailles, et, dans un élan du bras qui dénotait une force
proprement incroyable, le hissa sur sa selle et partit au galop.
— La Vraie Croix ! gémit Simon, alors que
l’éléphant se servait du patibulum pour frapper de droite et de gauche
les Moniales qui l’attaquaient.
— Plus tard ! cria Taqi.
Il talonna son cheval de plus belle, laissant l’éléphant
loin derrière, tandis que Cassiopée couvrait leur retraite en tirant à
l’arbalète, privilégiant les archers debout dans le howdah plutôt que
l’éléphant lui-même.
Guillaume
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