Le combat des ombres
lèvres de la comtesse. Elle s'interrogea quelques instants puis expliqua :
– En mon âme et conscience, pourquoi le ferais-je ? Dieu seul pourra l'absoudre, s'Il le souhaite. Comprenez : si un inconnu avait tenté de me navrer 5 , je lui accorderais mon pardon sans hésitation pour l'amour du Sauveur. Mais Guillette m'a entourée de prévenances à seule fin de m'occire lentement, sournoisement, de la façon la plus abjecte 6 qui soit.
– Si je m'adressais à toute autre femme, je n'oserais la suite, hésita Leone. Ils ne s'arrêteront pas là, madame. D'autres nervis se rapprocheront sous peu de vous. La terreur m'envahit alors que je prononce ces paroles.
– Je ne l'ignore pas, monsieur, répondit-elle d'un ton détaché.
– En plus de Clément, il me faut découvrir qui organise les vilenies de Benedetti à votre endroit. Le camerlingue ne peut agir depuis Rome. Il a fallu qu'il s'associe les services d'un acolyte, voire d'un complice roué, extrêmement intelligent et redoutable. Cette personne anéantie, Benedetti aurait bien du mal à surmonter sa défaite, nous laissant du temps pour agir et le contrer, directement cette fois.
– Il s'agit d'une vile bête qui rôde autour de nous depuis des années sans même que nous parvenions à apercevoir son ombre. Comment vous y prendrez-vous ?
– Je ne manque pas d'alliés, biaisa Leone en songeant à Clair Gresson et à ses espions.
Il s'interrompit à l'entrée de Benoîte qui servit la suite, des écrevisses en gelée.
– Je me suis sustenté à satiété, madame. Grand merci pour vos bontés. Offrez le reste de mon repas à vos pauvres, pour l'amour du Christ.
– L'appétit m'a fuie, moi aussi. Je pars demain pour Alençon, lâcha-t-elle d'un ton sans appel.
– Certes pas. Vous leur rendriez la partie aisée et plaisante, répliqua Leone d'un ton sec.
– Je vais rejoindre mon époux. Je le ferai sortir de geôle.
– Madame, ne connaissez-vous pas assez leurs ruses et leurs menteries ? Il a fallu… assassiner Florin pour vous tirer de leurs griffes. Artus d'Authon s'est décidé en toute connaissance de cause. Ne pas accepter cette confrontation revenait à vous livrer. Il le savait. Il a agi en homme d'honneur et d'amour.
– S'ils me veulent tant, ils libéreront mon époux.
– Ils veulent vous tuer, madame.
– N'avez-vous pas affirmé qu'accepter l'idée de mourir, c'était étouffer la peur ? Qu'elle se rétractait alors, penaude. Je pars demain à l'aube.
– Non.
– Votre pardon ?
– Non. (Leone ferma les paupières et balaya ses cheveux blond moyen vers l'arrière.) Madame, l'œuvre de ma vie, sa signification, sa seule justification est de veiller sur vous. Je mourrai pour vous, madame. Je ne vous laisserai pas disposer de votre existence sur un coup de tête, aussi brave et amoureux soit-il…
Soudain glacial, il ajouta :
– Levez-vous, madame. Je vous reconduis dans votre chambre.
– Que…
– Je me déteste de ce que j'entends faire. Implorer votre pardon ne servirait de rien. Aussi vous l'épargnerai-je. Levez-vous, madame. Vous demeurerez confinée en vos appartements dont la porte sera surveillée par moi. Vous ne vous rendrez pas à Alençon pour vous jeter dans la gueule des fauves. J'en fais le serment devant Dieu. Monseigneur d'Authon s'est sacrifié. Il savait exactement ce qu'il faisait.
– Allons, monsieur ! protesta Agnès. Entendez-vous me traiter comme une prisonnière en ma demeure ?
– Si fait, et je vous supplie de m'entendre à défaut de me pardonner. Vous êtes infiniment trop précieuse pour que je tolère votre projet. Suivez-moi jusqu'à votre chambre, madame. De grâce, ne résistez pas. Je serais forcé de vous contraindre, pour ma plus grande honte. J'avertirai au plus vite votre grand bailli. Nul doute qu'il me donnera raison. Vos gens recevront interdiction de seller votre cheval ou d'atteler votre fardier de voyage.
Elle se redressa et se tint très droite devant lui.
– Vous n'y songez pas, monsieur ! M'interdire de secourir mon époux !
– Non pas. Vous interdire de vous jeter dans la gueule du loup qui n'attend que cela. Nul ne s'appartient, madame. Vous appartenez à votre époux, à vos deux fils, un peu à moi aussi et à tous ceux qui vous aiment et sont prêts à périr pour que vous viviez. Surtout, vous appartenez à un futur qui fut décidé par les plus hautes Puissances. Suivez-moi, je vous en
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