Le combat des ombres
Ma fée m'a expliqué.
S'énervant soudain, battant des bras telle une oie vindicative, il bafouilla, la salive coulant de la commissure de ses lèvres :
– Les flammes… rôti pour l'éternité. Mal, très mal ! Et, j'verrions plus jamais ma fée à cause que s'ra en paradis.
Leone ne se saisit que de l'essentiel aux yeux du Simple : sa fée. Il fallait convaincre Gilbert. Le terroriser grâce à ce qu'il chérissait au-delà de sa vie ou même de la perspective de l'enfer.
– En effet, c'est exactement cela. Tu ne la reverrais plus jamais, de toute l'éternité. Si donc tu aperçois cette femme, contente-toi de l'empêcher d'aborder notre fée. Empêche-la de s'approcher à moins d'une toise. C'est une enherbeuse et elle connaît d'effrayants secrets. Fais prévenir aussitôt le grand bailli. As-tu bien compris ?
Un hochement de tête lui répondit. Le Simple, son faible esprit envahi de pensées de désespoir, sortit sans un mot. Il n'en avait pas qui explique le gouffre qu'il ressentait au-dedans de lui. Pas de mot pour expliquer sa terreur et la haine qu'il ressentait soudain. Une haine violente, sans limites. Pour la première fois depuis la disparition de Clément, il regretta l'absence du jeune garçon. Clément aurait compris bien mieux que lui, il aurait trouvé une solution. Cette nuit, Gilbert dormirait entre les jambes de ses chevaux afin de se réconforter de leur odeur. Cette nuit, un ange viendrait le visiter durant son sommeil. Il lui indiquerait comment défendre sa fée. Gilbert n'en doutait pas. Sa bonne fée ne lui avait-elle pas dit un jour, un sourire aux yeux, alors qu'elle lui ébouriffait les cheveux : « Les anges aiment les simples. Ils leur permettent de se reposer un peu. »
Gilbert alterna d'un état de demi-veille à des cauchemars confus, inquiétants, trop compliqués pour qu'il leur trouve une signification autre que celle qui ne lui quittait pas l'esprit : il devait trouver un moyen de protéger sa bonne fée de la vipère, sans toutefois se rendre coupable d'un péché qui lui ferme le paradis. Gilbert était prêt à tout, sauf à être séparé de sa dame, ici, ou au-delà. La perspective était si inacceptable, si affolante qu'il fondit en larmes, se détestant de ce cerveau trop lourd, trop incomplet. Fou de rage contre lui-même, il s'asséna des coups de poing de fureur dans les cuisses et les bras. Abruti qu'il était, une vraie bête. Il méritait bien la correction qu'il s'infligeait. Davantage encore. Il sanglota longtemps, la morve lui dégoulinant au menton sans même qu'il songe à l'essuyer. Hébété de fatigue, de panique, il s'endormit enfin au petit matin, environné du souffle puissant des chevaux de Perche.
Et l'ange le visita.
Hameau des Loges, proximité d'Authon-du-Perche,
Perche, octobre 1306
Joseph de Bologne laissa tomber sa besace à herbes médicinales sur le sol de terre battue de la chaumière. Il appela doucement :
– Pauline ?
Aussitôt une cavalcade à l'étage. Un pas léger dévala l'échelle de meunier qui menait à la chambre. Une toute jeune femme, blonde comme les blés, se jeta entre ses bras, s'esclaffant :
– Je suis si heureuse de vous revoir ! Cependant, je devrais me montrer un peu jalouse. Vous ne me veniez pas visiter si souvent avant son arrivée.
Il sourit en hochant la tête puis désigna son sac :
– J'ai là quelques victuailles qui ont bien goûteuse allure.
– Vous ne devriez pas, le gronda-t-elle comme chaque fois. Car vous les dérobez au comte et à la comtesse qui sont bons maîtres, n'est-ce pas ?
– Certes pas, se défendit messire Joseph. Il s'agit des restes des repas que distribue chaque matin Ronan aux pauvres. Après tout, vous n'êtes pas riches. Il s'agit de teréfah 1 … Toutefois, nous n'avons pas d'autre choix. S'il nous faut respecter la cacherout 2 afin de nous rappeler à quel point nous sommes des créatures faillibles, qui mélangent ce qui ne devrait pas l'être, nous faire mener sur le bûcher à cause d'une stricte observance déplairait à Dieu.
Pauline baissa les yeux. Elle hésita.
– Je me demande parfois pour quelle raison Il nous éprouve de la sorte, depuis si longtemps. Ne me répondez pas que je commets un odieux blasphème. L'intelligence est un don de Y' 3 , ne pas l'utiliser serait pécher.
– Je l'ignore ma douce Sarah… Pauline, rectifia-t-il.
La jeune femme le fixa de son troublant regard mouvant.
Les brimades et les
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