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Le combat des ombres

Le combat des ombres

Titel: Le combat des ombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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enceinte, elle avait eu le sentiment d'un second viol. Porter l'enfant d'un des soudards qui l'avaient déshonorée la révulsait au point qu'elle avait considéré le suicide comme une alternative plus douce. Le ressentiment qu'elle éprouvait pour cet enfant à venir la terrorisait. La réputation tenace dans leur communauté de Joseph de Bologne, l'inégalable médecin, l'humaniste, le philosophe, était devenue son seul espoir de salut. Lui pourrait la sauver, même si seules les femmes s'occupaient du ventre des femmes. Apprenant qu'il consultait souvent les ouvrages de la prestigieuse bibliothèque de la Sorbonne 5 , elle s'y était ruée, dissimulant son voile dans sa bougette 6 dès qu'elle avait été assez éloignée de la rue aux Juifs. Elle avait attendu messire Joseph, dehors, durant plus d'une heure, sous une pluie battante. Se fiant aux descriptions que lui avaient faites ceux qui l'avaient connu, elle s'était précipitée vers lui dès qu'il avait paru en haut des marches.
    Il l'avait écoutée en silence, ne l'interrompant jamais, levant juste un sourcil lorsque la rage qui l'étouffait sortait en insultes, en mots de violence de sa bouche. Enfin, il avait déclaré d'un ton doux mais sans appel :
    – Je ne puis faire ce que tu me demandes, jeune fille. Même s'il s'agit d'un viol. Je ne mettrai terme à une grossesse que si je sais que la mère risque de périr. Tel n'est pas le cas. Tu es jeune, en florissante santé.
    – J'exècre cet enfant, je n'en veux pas ! Ils m'ont déshonorée à tout jamais, messire. Si on venait à l'apprendre, et dans quelques semaines je ne pourrai plus le cacher…
    – La faute ne te revient pas. Tu étais seule, ils étaient trois, ivres. Tu t'es débattue. Et puis, si tu as cet enfant, c'est que tu peux en concevoir d'autres. Rien n'est plus terrible dans un couple que la stérilité.
    Nulle larme. La vieille femme qui lui avait permis de se laver, d'arranger un peu le désordre de ses vêtements avait eu raison. Pleurer ne servait à rien. Elle l'avait fixé et déclaré, mâchoires serrées :
    – Je vous hais, vous aussi. Vous me condamnez à accoucher d'un enfant souillé, à le supporter à mes côtés alors que je l'abhorre déjà.
    – Tu apprendras à l'aimer.
    – Jamais. Je vais quitter Paris… Je trouverai quelqu'un… Il est des femmes qui…
    – Ce sont des tripières. Elles t'abîmeront les intérieurs au point que tu ne pourras plus jamais concevoir, si du moins tu ne trépasses pas d'une fièvre quelques jours plus tard.
    – Tant pis. Dans les deux cas, je vous le devrai. Je préfère cela au déshonneur, à la flétrissure. Je ne survivrai pas à la honte de ce ventre odieux.
    Il avait détaillé le ravissant visage, les grands yeux bleus d'enfante, la petite bouche serrée de détermination. Redoutant une folie dont elle ne mesurait pas les conséquences, il s'était décidé.
    – Alors suis-moi. Je veillerai sur ta grossesse et si tu veux toujours te défaire de l'enfant ensuite, je m'en débrouillerai.

    Sarah, devenue Pauline, s'était donc installée en Perche, dans le hameau des Loges, où elle vivait depuis trois ans. L'enfant, une petite fille, n'avait vécu qu'une heure minuscule après la délivrance. Joseph veillait depuis sur Pauline qui, sentant le sort qui leur était réservé, n'avait pas souhaité retrouver la rue aux Juifs. Lorsque messire Joseph lui avait demandé d'accueillir Adèle en la faisant passer pour sa jeune sœur, ce que leur physique semblable permettait, elle n'avait pas hésité, sans même poser de questions.

    Adèle ramassait les œufs lorsqu'il la rejoignit. Il toussota. Elle se redressa et se tourna vers lui, un sourire heureux illuminant son visage.
    – Mon maître, quel constant bonheur de vous voir. Qu'apprenons-nous aujourd'hui ? L'astronomie, l'art mathématique ou la philosophie grecque ?
    Il détailla l'adolescente, ses cheveux de miel qui lui tombaient maintenant aux épaules, son regard pers, sa silhouette élancée, déjà haute pour une si jeune fille. Dieu qu'elle lui ressemblait. À Agnès de Souarcy. Clémence.
    Pour la centième fois, messire Joseph tenta d'argumenter :
    – Elle souffre de ton absence, terriblement. L'inquiétude la ronge. Pourquoi refuses-tu que je l'informe que sa fille chérie se cache à deux pas d'elle, qu'elle est sauve ?
    Le ravissant visage se ferma.
    – Elle sait que je suis sauve. Elle le sent, comme je la sens. Nous sommes si

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