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Le combat des ombres

Le combat des ombres

Titel: Le combat des ombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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lui déplaire. Pourtant, la mascarade avait assez duré. Nulle inquiétude d'époux ne le menait. Ce qu'il supputait était bien plus effrayant. À la vérité, l'histoire qu'Agnès lui avait servie, près de deux ans plus tôt, afin d'expliquer son inquiétude au sujet de la disparition de ce petit valet de ferme, ce Clément, n'avait qu'à moitié convaincu Artus. L'envie de plaire en tous points à sa mie avait fait le reste. Toutefois, l'attitude d'Agnès dans les mois qui avaient suivi l'avait intrigué, puis alarmé. Elle était certes un ange de bonté et de générosité mais, de là à perdre le dormir et le manger parce qu'une petite bâtarde née d'une servante décédée demeurait introuvable, il y avait un pas immense. Il l'avait entendue arpenter sa chambre à la nuit. Il n'avait pas été dupé par son feint appétit lorsque Monge de Brineux lui rapportait toujours la même nouvelle : leurs recherches restaient infructueuses. Il avait surpris ses regards qui, brusquement, s'évadaient vers le parc afin qu'il n'y voie pas les larmes, lorsqu'il mentionnait Clémence. La voix de son aimée le tira de ses pensées :
    – Me voilà installée, monsieur.
    Il la détailla dans sa robe de coupe italienne. Le lourd velours mordoré mettait en valeur le miel de ses cheveux. Il la revit dans sa pauvre robe de messe grise. La plus jolie toilette de la dame de Souarcy. Il se souvint de son émoi lorsqu'elle avait enfourché Ogier, vêtue de braies de paysan, aussi élégante qu'une reine. Il repoussa l'émotion qui lui étreignait la gorge. Le temps des atermoiements, de la crainte de déplaire était passé. Il devait savoir. Il reprit d'une voix douce :
    – Et pourtant, madame. Quel terrible secret me dissimulez-vous ?
    Elle ferma les yeux et soupira bouche entrouverte, son visage se vidant de son sang. Décolorée jusqu'aux lèvres, elle l'avertit :
    – Tout vous sera révélé, monsieur. Si, ensuite, vous me jugiez indigne de votre amour, de grâce, ne tergiversez pas afin de m'épargner. Dites-le moi sans détour.
    Étrangement, cette mise en garde n'inquiéta pas Artus. Rien de ce qui la tissait ne pouvait être mauvais. Rien d'elle ne pouvait le décevoir. Il aurait misé sa vie sur cette certitude. Elle s'humecta les lèvres d'une gorgée de vin et commença.
    Une voix calme, étonnement monocorde au point qu'il la reconnut à peine, s'éleva :
    – Clémence est ma fille de ventre. Tout comme Mathilde, il ne s'agit pas d'une Souarcy.
    Elle remonta pour lui les méandres de cette mémoire qui l'avait tant blessée, n'en omettant rien, ne tentant même pas de souligner ses excuses. Tout défila dans une économie de mots, d'émotions. Le désir incestueux d'Eudes, madame de Larnay son ange, son mariage avec Hugues, l'effroyable agonie de cet homme de foi et d'honneur dont le trépas la livrait à nouveau à l'ignoble concupiscence de son demi-frère, l'arrivée de Leone, la découverte de ce papyrus sacré aux Clairets, le camerlingue Honorius Benedetti et ses sbires, les moniales enherbées, la Quête, le sang différent*. La vie semblait avoir fui d'elle pour ne revenir que lorsqu'elle se remémora leur rencontre non loin des ruches, son embarras d'amoureux, sa panique à elle.
    Durant une heure il l'écouta sans jamais l'interrompre, osant à peine cligner des paupières ou porter son verre à ses lèvres de peur qu'elle ne s'interrompe. Il congédia d'un geste discret la servante qui leur portait l'issue. Plongée dans la plate narration de son cauchemar, Agnès ne l'aperçut pas. Il dut lutter à plusieurs reprises contre la folle envie de se précipiter vers elle, de la serrer contre lui à l'étouffer.
    Elle s'interrompit, but une nouvelle gorgée de vin. Il tendit les mains vers elle. Elle les refusa d'un signe de tête. Elle inspira longuement et déclara :
    – Ainsi que je l'ai dit au chevalier de Leone, qui ne doit jamais apprendre que Clémence est une fille, je dois passer maintenant à vos yeux pour une catin commune.
    – Vous, madame…, murmura-t-il dans un souffle, luttant contre l'émotion qui lui faisait venir les larmes aux yeux. Vous êtes un éclat de lumière divine. Votre inflexible courage, votre détermination sans haine, votre force… étrange. Je pensais ne pas pouvoir vous aimer davantage, vous aimant déjà infiniment. Je me trompais. Vous venez de me conduire en votre âme et mon vœu le plus cher est d'y demeurer toujours. Il s'agit du seul endroit où

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