Le combat des ombres
Il ne s'agit que de quelques mois, au pire d'une ou deux années. Donnons le temps à Leone et à ses compagnons d'ombre de parachever leur œuvre en détruisant à tout jamais ceux qui souhaitent la perte de votre fille et la vôtre.
– Le pourront-ils un jour ?
– À Dieu plaise.
Agnès se leva. Elle s'approcha de son époux et posa la tête contre son épaule. Il caressa la masse précieuse de ses cheveux, les laissant glisser entre ses doigts comme un liquide soyeux.
– Mon aimé, avant son départ, je souhaiterais tant passer une journée entière avec elle, dîner avec elle, m'essouffler à lui conter tant de petites choses, la guider dans le parc… faire provision de souvenirs.
– Pauline viendra nous porter une corbeille de ses œufs, accompagnée de sa jeune sœur. Elle repartira seule. Un gens d'arme raccompagnera Clémence au tôt matin. (Il sourit et elle eut envie de baiser le lent étirement de lèvres.) M'inviterez-vous à partager votre souper ou serai-je de trop ? Il est plus que temps que je rencontre mademoiselle ma fille d'alliance, celle-là même qui menaça de me larder de coups de lame si je vous importunais en votre manoir. Vous souvenez-vous ? Fichtre, elle ne plaisantait pas. Bah, bon sang ne saurait mentir !
Le lendemain matin, peu avant prime, Artus d'Authon fit seller Ogier. Le comte mit pied à l'étrier, hésitant. Il flatta l'encolure du magnifique destrier que cette incertitude de la part de son maître troublait, murmurant à son oreille :
– Ogier, mon valeureux Ogier… Tu ne sais rien des histoires d'homme. Grand bien te fasse !
Il héla un valet d'écurie et lui tendit les rênes, précisant :
– Ma course est remise de quelques minutes. Attache-le.
Il avança à pas lents vers les écuries. Eh quoi ? Leone et lui partageaient maintenant le même secret. Rien de plus normal qu'ils en discutent d'homme à homme. Sa foulée s'allongea.
Artus trouva Leone installé devant la petite table de sa chambrette. Il lui conta en quelques mots les révélations de son épouse.
– Je suis soulagé que madame d'Authon se soit décidée à vous révéler la vérité. Elle vous permet de soupeser l'immense danger qui pèse sur elle. Je retardais mon départ, effrayé à l'idée de la laisser vulnérable. Tel n'est plus le cas. Vous êtes homme de vaillance et d'intelligence et ne reculerez devant nul ennemi afin de protéger votre épouse. Je puis donc repartir, le cœur plus léger, afin de poursuivre mes recherches.
– Retrouver Clément et les manuscrits, résuma Artus d'Authon.
– En effet.
– Monsieur, je suis votre obligé à jamais. Vous avez sauvé l'être qui m'est plus cher que la vie. Vous avez veillé sur elle lorsqu'on tentait de m'écarter afin de l'atteindre. Enfin, vous m'avez tiré des griffes de l'Inquisition. Il est bon de se sentir redevable. On y réapprend l'humilité. On y reprend la mesure de ses faiblesses. Je ne suis pas certain de parvenir un jour à m'acquitter d'une telle dette.
Leone lui destina un de ses étranges sourires qui semblaient naître de très loin, d'une profondeur à laquelle nul n'avait accès.
– Aucune dette, monsieur, je vous l'affirme en vérité. Le service à Dieu ne se comptabilise pas à la manière d'un billet d'usure.
Plus sec, le comte déclara :
– Il n'en demeure pas moins, monsieur, avec toute mon estime, que j'eusse préféré vous aider, voire vous seconder – nous sommes au-dessus des préséances – plutôt que d'être maintenu dans cette ignorance qui faisait de moi un poids mort quand j'aurais pu joindre ma vigilance et mon épée aux vôtres.
– Votre pardon, monsieur, du fond de l'âme. Cela étant, vous voudrez comprendre que ce choix ne dépendait pas de moi. Il n'appartenait qu'à Madame. De surcroît, les êtres contre lesquels nous luttons depuis des siècles n'usent que rarement de l'épée. Leurs armes sont bien plus sournoises.
– Sans doute, approuva le comte dans un murmure. Quand aurons-nous le regret de vous voir partir, chevalier ?
– Demain. Avec votre permission, j'irai saluer la comtesse et lui souhaiter bonne chance. Quel soulagement de vous savoir près d'elle, dans toute la conscience de ce qui la menace, répéta Leone. Souvenez-vous, monsieur, n'oubliez pas un instant : ses ennemis sont redoutables et prêts à tout. Que le moindre indice vous alerte, que le plus infime détail vous alarme. Ils sont pour le moment
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