Le combat des Reines
assurée.
— Mathilde,
nous devons attendre le retour d'Ap Ythel et de Demontaigu. S'ils découvrent ce
que nous croyons, c'est moi qui dois approcher le roi, pas vous. L'heure où je
dois agir est arrivée. Alors répétez-moi tout.
Je m'exécutai,
assise en face d'elle comme si je narrais une histoire, sans plus bafouiller
cette fois. J'avais à peine terminé quand Ap Ythel et Bertrand, maculés de
crasse, les vêtements souillés, demandèrent audience. Une fois la porte
refermée, ils prirent place sur des tabourets devant la souveraine. Demontaigu
regarda Ap Ythel, qui fit un signe d'approbation.
— Votre
Grâce, Mathilde, je dois vous présenter mes excuses. Nous avons encore trouvé
des armes dans les jardins, des poignards et des épées, mais rien d'autre
jusqu'à ce que nous descendions dans les caves. Au manoir de Bourgogne...
Ap Ythel
illustra ses dires à grands gestes.
— ... les
caves sont profondes et s'étendent, en fait, d'un bout du bâtiment à l'autre.
Elles forment de petites pièces, séparées par des murs perpendiculaires à la
paroi extérieure ; elles ne servent pas seulement de resserres mais aussi
de support à l'édifice. On y garde des tonneaux de vin et d'autres provisions.
Nous sommes tombés sur diverses choses : des outres rebondies, des sacs
remplis d'huile solidement ficelés, cachés derrière les tonnes ou fermement
enfoncés dans des coins.
Je fermai les
yeux et murmurai une prière.
— Votre
Grâce, nous avons aussi vu, continua Ap Ythel, de petits fûts de salpêtre, de
la poudre à canon. J'ai servi sous les ordres de feu le roi il y a quatre ans
quand il a assiégé Stirling. Je l'ai vu user de cette huile et de cette poudre
pour faire éclater les pierres les plus dures.
— Et il en
est ainsi dans toute la cave ? interrogea Isabelle.
— Oui,
Votre Grâce. Après leur avoir fait jurer de tenir leur langue, nous avons
questionné le responsable des réserves, le cellérier, et le chef de l'office et
de la cuisine : nul ne savait rien de cette affaire. En fait, au fur et à
mesure de l'interrogatoire, j'ai pu remarquer qu'ils étaient inquiets. Une
chandelle, une torche...
— Et que se
serait-il passé ? s'enquit Isabelle.
— Le manoir
de Bourgogne serait devenu l'Enfer rugissant, répondit Demontaigu. L'huile et
la poudre mêlées au bois sec, au vin et aux autres produits dans la cave
auraient provoqué un feu plus ardent que celui d'une fournaise. Une partie du
bâtiment est en bois. Les puissantes flammes en s'élevant auraient percé les
plafonds l'un après l'autre tandis que les courants d'air auraient propagé le
feu dans tout le château. En quelques minutes, Votre Grâce, le répète, le
manoir de Bourgogne serait devenu l'Enfer sur terre. J'ai déjà vu ce genre
d'incendie s'étendre : il n'attend pas, il bondit à proprement parler, la
fumée à elle seule peut vous faire suffoquer.
Je contemplai la
tapisserie accrochée au mur : c'était un cadeau des étudiants de St Paul à
la reine. Elle représentait la légende de Méduse, qui vivait aux confins de
l'Afrique, là où la terre chaude est brûlée par le soleil au crépuscule. Méduse
tenait dans ses bras sa propre tête coupée et de son cou sortaient en sifflant
des serpents dont les langues palpitantes crachaient du sang. Des vipères
pendaient tout autour de son corps et ces yeux terrifiants dans cette tête
tranchée lançaient des regards furieux. La scène faisait écho à l'horreur que
j'éprouvais.
— Ils
voulaient nous tuer tous, chuchotai-je. Si l'on avait mis le feu à la cave au
cœur de la nuit, l'incendie se serait répandu et le roi, messire Gaveston...
Je regardai
Isabelle. Elle restait immobile, le visage dur, les yeux brillant de colère.
— Personne
n'aurait survécu ou fort peu de gens.
— J'y ai
pensé, remarqua Demontaigu à mi-voix. Votre Grâce, c'eût été chacun pour soi.
Pouvez-vous imaginer le roi, messire Gaveston, vous-même, Mathilde... ?
Même si on en réchappait, titubant, éperdu, brûlé, toussant et crachant,
n'importe quel assassin tapi dans l'ombre n'aurait aucune peine à frapper.
— Qu'en
est-il à présent de ces caves infernales ? voulut savoir Isabelle.
— On est en
train de les vider en secret, déclara Ap Ythel. On a mis l'huile et la poudre
dans des charrettes qu'on conduira cette nuit dans les prés au sud de l'abbaye
où elles seront sous bonne garde. Mes hommes ont prêté serment. Nul ne
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