Le combat des Reines
merveilleux
festin dans la grand-salle du manoir de Bourgogne.
Je passai le
temps précédant le banquet à aider ma maîtresse à s'adorner. Isabelle avait
décidé d'être éblouissante. Ce qu'elle fut, avec sa robe de satin blanc piquée
de roses, sa ceinture écarlate, son bandeau d'or orné de lis d'argent et sa
résille d'or semée de perles sur ses splendides cheveux blonds. Isabelle et son
époux, lui aussi vêtu d'atours somptueux — une tunique de damas d'un
blanc éclatant brodée de lions d'or —, menaient les principaux convives
dans la grand-salle. Derrière eux Gaveston, habillé de soie pourpre et blanche,
avançait à pas lents, tenant sa femme, Margaret, par la main. Il saluait à
gauche et à droite comme s'il était l'homme le mieux en cour qui soit. Les
autres suivaient : Marguerite, la reine douairière, dans un bliaud vert
foncé à col montant, un voile blanc encadrant un visage à l'air compassé ;
puis les principaux seigneurs, Lancastre, Lincoln, Pembroke et Hereford,
entourant Robert Winchelsea qui avait choisi une simple robe brune comme pour
montrer à tous son austérité et son ascétisme. La grand-salle du manoir de
Bourgogne resplendissait à la lumière de centaines de chandelles de cire vierge
enfoncées dans leur support. L'éclairage était encore accru par une rangée de
larges roues de lumière, au bord garni d'un grand nombre de chandelles
supplémentaires, que l'on pouvait faire descendre à l'aide de poulies des
poutres du plafond. Les murs étaient cachés par des tapisseries et des tentures
dorées, vertes, violettes et rouges, montrant des lions et des aigles, hommage
incontestable au souverain et à Gaveston. Des couronnes d'argent, des léopards
d'or se mêlaient aux peintures illustrant des scènes tirées du célèbre roman de
Tristan et Yseult. Au bout de la chambre un riche dais d'or frangé de glands
d'argent abritait la table royale sur sa longue et haute estrade. La table,
quant à elle, était nappée d'un damas ivoire sur lequel scintillaient gobelets,
coupes, hanaps, bassins et pichets d'argent incrustés de pierres précieuses
entourant une magnifique salière de table en forme de château constellée de
joyaux. De chaque côté de l'estrade, il y avait deux autres tables aussi
richement décorées et une quatrième fermait le carré.
Sur la gauche un
feu ronflait dans une immense cheminée sculptée avec art. À l'extrémité de la
salle, au-dessus d'un écran de bois ciselé, une galerie accueillait les
musiciens royaux qui, avec lyre, fifre, harpe, tambour et autres instruments,
jouaient de doux airs mélodieux. La sonnerie de trompettes annonçant le début
des agapes ne tarda pas à les couvrir. Winchelsea entonna les grâces et
prononça son bénédicité d'une voix maussade. Les trompettes sonnèrent derechef
et le cortège des cuisiniers royaux entra en présentant le plat principal, une
énorme hure de sanglier, dont les naseaux grands ouverts et les défenses
recourbées étaient enrubannés et garnis de romarin et de laurier. Pendant que
les cuisiniers faisaient le tour des tables, un enfant, du haut de la galerie,
se mit à chanter la célèbre invite :
Voici la hure
dans toute sa splendeur,
Auréolée de
guirlandes et d'herbes fraîches comme printemps,
Aussi vous
prie de chanter avec moi
Et vous réjouir
comme oiseaux en vol.
Le banquet commença.
Des serviettes de lin blanc damassé d'or, enjolivées de fleurs, de petits nœuds
et de couronnes, furent déployées. On remplit à ras bord les coupes, sur
lesquelles chatoyaient jaspe, agate, béryl et calcédoine, des meilleurs crus
des vins de Gascogne. Dans les hauts verres à bord argenté, placés devant
chaque hôte, on versa des vins doux d'Italie et du Portugal. Les plats se
succédaient : bouillon blanc aux amandes, gigot aux citrons, chapons à la
diable, aloyau de bœuf. Le roi voulait impressionner ses adversaires en étalant
son luxe. La seule « ombre au tableau », pour reprendre l'expression
consacrée, venait de certains effluves infects et odeurs fétides qui
empestaient les galeries et les couloirs du manoir de Bourgogne. Je l'avais moi
aussi remarqué et, avant les festivités, Isabelle s'en était plainte à haute
voix. Elle avait, à juste raison, déclaré qu'on les sentait depuis trois jours
et avait insisté pour que les chiouères, les latrines, les égouts et les
garde-robes fussent nettoyés et purgés.
On avait donc
spécialement parfumé la
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