Le combat des Reines
souverain d'un ton
irrité.
— Sire,
rétorqua ma maîtresse, je le joue depuis aussi longtemps que j'en ai
souvenance.
Gaveston adressa
un sourire espiègle à Isabelle qui rougit un peu.
— Notre
dame a raison, déclara-t-il.
Il se leva pour
remplir à nouveau les quatre petits gobelets. Il servit Isabelle, le roi, puis
moi, avant de reprendre sa place et de siroter, songeur, sa boisson.
— Philippe
de France s'inquiète surtout des Templiers. L'abbé de Saint-Germain apporte des
lettres de sa part et de celle du pape Clément. Ils requièrent la destruction
complète de l'ordre sur le territoire anglais, que ce soit à Carlisle ou à
Bordeaux, en Gascogne.
Gaveston me
lança un coup d'œil. Je me demandai s'il connaissait la véritable identité de
Demontaigu. Ce que dit alors le souverain me glaça le sang.
— Il se
peut que Philippe envisage un troc, observa-t-il avec calme. La destruction des
Templiers contre la sécurité de Pierre. Mais je ne peux l'accepter.
Mon cœur battit
la chamade.
— Je ne le
puis, insista le roi. Non pas que j'aie grande obligation envers le Temple.
Il eut un geste
de la main.
— Je suis
prisonnier ici, à Westminster. Si je rédigeais des édits autorisant la
destruction du Temple, les grands barons se contenteraient de s'emparer de ses
propriétés et domaines dans les villes et les comtés. Je n'en tirerais nul
profit. À quoi cela nous servirait-il ?
— Alors
comment tout cela finira-t-il ? s'enquit Isabelle d'une voix étrangement
âpre. Les barons se réuniront à Westminster Hall ou dans la salle du chapitre
de l'abbaye. Ils établiront une proposition de loi, des articles de
condamnation et tenteront de faire comparaître messire Gaveston devant leur
assemblée. Ils peuvent même requérir contre lui, essayer de le traîner en
justice.
Édouard fit un
signe d'acquiescement.
— C'est ce
qu'ils feront, chuchota-t-il. Oui, ils le feront...
Il se cacha le
visage, incapable d'achever sa phrase. Gaveston avait posé les mains, paume à
plat, sur la table. Une légère sueur lui emperlait la face. Le roi repoussa sa
chaire, la tête penchée de côté comme s'il écoutait les différents bruits du
palais.
— Lincoln
et les barons sont non seulement bien pourvus, mais ils sont aussi bien
informés.
Il considéra son
favori, les larmes aux yeux.
— Un
traître ? suggéra Isabelle. Ici, parmi les vôtres ?
— Que
pourrait-il, ou que pourrait-elle, révéler ? railla-t-il. Quels plans
secrets avons-nous ? Avec qui pourrions-nous comploter ? Non, c'est
plus subtil que cela.
Il se tourna
vers moi, l'œil droit mi-clos, et me jeta un regard froid et dur.
— Mathilde,
vous êtes médecin, ou du moins le prétendez-vous.
Il lança ces
mots blessants comme un nœud coulant sur ma tête en m'observant, puis il se
détendit. Ôtant un anneau d'argent de son auriculaire, il le poussa sur la
table vers moi.
— Je suis
navré !
Isabelle
foudroyait son époux du regard. Gaveston baissait la tête. Je tendis le bras,
pris le bijou et le fis rouler derechef vers son donateur.
— Mille
mercis pour ce cadeau, Votre Grâce, mais, en l'occurrence, il me semble que
vous aurez besoin de tous vos trésors. Qui plus est, si vous tombez, à quoi me
servira l'argent ?
Le souverain me
fixa, étonné. Il ouvrit la bouche pour protester, mais Gaveston se mit à rire
et à applaudir avec enjouement.
— Votre
Grâce, plaisanta-t-il, un médecin qui dit la vérité. Comme c'est rare !
Le roi
s'esclaffa ; la tension s'évanouit. Les mains jointes, Édouard se pencha
par-dessus la table.
— Mathilde,
ma chère, vous étudiez les symptômes d'un mal, puis en cherchez la cause,
n'est-ce pas ?
— Bien sûr,
sire.
— Il en va
de même ici, continua-t-il. Les barons sont unis, nantis et bien informés. Ils ne
tiennent aucun compte de mes exigences. Ils rejettent en se moquant la
médiation de ma bonne belle-mère, la reine douairière Marguerite. L'un d'entre
eux a même insinué qu'elle devrait aller en pèlerinage, le plus long qu'elle
puisse trouver.
À ces mots,
Isabelle partit d'un rire sardonique.
— Quelque
chose ou quelqu'un les rassemble ; voilà la raison de nos troubles
actuels.
Il eut un geste
d'ignorance.
— Nous
ignorons qui, comment et pourquoi. S'agit-il de l'Empoisonneuse ?
Il tendit le
doigt vers la reine.
— Vous
m'avez dit avoir un jour entendu votre père, en conversation privée avec ses
compagnons dans les
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