Le commandant d'Auschwitz parle
francs une fois que le danger était passé et
que les enquêtes françaises devenaient plus pressantes. On procédait alors à la
dissolution des corps francs et on engageait des poursuites contre les
organisations surgies pour prendre leur succession dans l’attente d’un nouvel
engagement.
Ces corps francs étaient composés d’éléments fort divers. Il
y avait là des officiers et soldats rentrés du front et incapables de s’adapter
aux conditions de la vie civile ; des aventuriers qui espéraient trouver
leur chance ; des chômeurs qui voulaient échapper à la fainéantise et à la
bienfaisance de la sécurité sociale ; des jeunes volontaires enthousiastes
qui s’enrôlaient par patriotisme. Chacun d’entre eux, sans exception aucune,
devait prêter serment de fidélité au chef de son corps franc. Il personnifiait
l’unité ; sans lui le corps cessait d’exister. C’est ainsi que se créait
un esprit de corps, un sentiment de solidarité que rien ne pouvait briser.
Notre cohésion se raffermissait dans la mesure où le gouvernement s’acharnait à
nous poursuivre. Malheur à celui qui brisait ces liens sacrés ou, pis encore,
les trahissait !
Obligé de nier l’existence des corps francs, le gouvernement
n’était pas à même d’engager des poursuites lorsque des crimes tels que vols d’armes,
violations de secrets militaires, haute trahison se produisaient dans leurs
rangs. Les corps francs et les organisations qui leur succédaient se trouvaient
donc dans l’obligation de rendre justice par leurs propres moyens et c’est ainsi
qu’on vit se constituer, sur le modèle d’antiques institutions allemandes,
créées dans des circonstances analogues, les fameux tribunaux de la
Sainte-Vehme. De nombreux traîtres ont été condamnés par ces tribunaux et
exécutés sans que le public et l’administration en sachent rien. C’est
seulement dans quelques cas isolés qu’on parvint à s’emparer des exécutants et
à les faire condamner par la haute cour de défense républicaine, créée
spécialement dans ce but.
Tel fut mon propre cas. Je fus condamné à dix ans de travaux
forcés au procès de Parchim, comme instigateur et principal participant d’un
meurtre. Nous avions effectivement exécuté l’homme qui avait livré aux Français
le patriote Schlageter [24] .
L’un des nôtres en avait informé le Vorwärts , le grand journal du parti
social-démocrate, soi-disant pour se libérer de ses remords, mais en réalité,
comme nous le sûmes plus tard, pour gagner une bonne somme d’argent. Les
détails de cette exécution n’ont jamais pu être dévoilés totalement car notre
dénonciateur avait trop bu au moment où nous agissions et n’en gardait pas un
souvenir suffisamment précis. Ceux qui savaient préféraient se taire. Pour ma
part, je savais la vérité : j’avais assisté à l’exécution, sans toutefois
y avoir joué le rôle de chef ou de « participant principal ». Mais,
lorsque je constatai, pendant l’instruction, que j’étais seul à pouvoir
confondre le camarade qui était le véritable meurtrier, je pris la faute sur
moi et je laissai libérer le coupable. Inutile de dire que je ne désapprouvai d’aucune
façon l’acte que nous avions commis en nous chargeant de l’exécution d’un
traître. Je tiens à ajouter que Schlageter, victime de cette trahison, était un
bon et vieil ami : j’avais combattu à ses côtés dans les pays baltes et
dans la Ruhr. Nous avions travaillé ensemble en Haute-Silésie derrière les
lignes ennemies et nous avions participé tous deux à maintes opérations
ténébreuses destinées à nous procurer des armes.
Aujourd’hui comme hier, je suis fermement convaincu que le
traître avait mérité la mort. Puisque de toute façon aucun tribunal allemand ne
se serait risqué à le condamner, c’est nous qui l’avons jugé, selon une loi non
écrite que nous nous étions donnée à nous-mêmes, en nous conformant aux
exigences de l’heure. Mais je sais que seuls ceux qui ont vécu cette époque et
qui ont réfléchi sur la situation si troublée de notre pays sont susceptibles
de me comprendre.
Dans la prison de Brandenburg (1924-1928)
Pendant la durée de l’instruction, qui se prolongea près de
neuf mois, et même pendant le procès, je ne m’étais pas rendu compte de ce qui
m’attendait. J’étais fermement convaincu que je ne serais pas jugé et que j’éviterais
de toute façon une condamnation. La
Weitere Kostenlose Bücher