Le commandant d'Auschwitz parle
sa faveur auprès de leur chef,
mais en vain. C’était la première infraction sérieuse au règlement commise par
un officier SS ; il fallait la punir d’une façon exemplaire. Le condamné
était un homme de valeur, âgé de trente ans, marié et père de trois enfants, il
s’était toujours montré consciencieux dans son service ; mais il devait
payer pour sa bonté et sa trop grande confiance. Il affronta la mort, calme et
résigné.
Aujourd’hui encore je ne parviens pas à comprendre comment j’ai
eu le sang-froid nécessaire pour donner l’ordre de tirer. Les trois hommes
chargés de l’exécution ne savaient pas qui était le condamné : cela valait
mieux car leurs mains auraient probablement tremblé. J’étais en proie à un tel
trouble que je dus faire effort pour donner le coup de grâce dans la tempe.
Mais je parvins à me dominer et personne dans l’assistance ne s’aperçut de mon
émotion. J’en eus confirmation quelques jours plus tard, après avoir questionné
les trois sous-officiers du commando d’exécution.
À cette époque, combien de fois n’ai-je pas dû me dominer,
pour faire preuve d’une implacable dureté ! Je pensais alors que ce qu’on
exigeait de moi dépassait les forces humaines ; or, Eicke continuait ses
exhortations pour nous inciter à une dureté encore plus grande. Un SS doit être
capable, nous disait-il, d’anéantir même ses parents les plus proches s’ils se
rebellent contre l’État ou contre les conceptions d’Adolf Hitler. « Une
seule chose doit compter : l’ordre donné ! » – tel était l’en-tête
de son papier à lettre.
Durant les premières semaines de la guerre, j’ai appris à
connaître le sens de cette devise et l’interprétation qu’Eicke lui donnait :
pas seulement moi, mais aussi bien d’autres vieux SS. Certains d’entre eux, qui
avaient adhéré aux SS depuis le début et atteint des grades élevés, avaient eu
le courage de déclarer au mess que ce travail de bourreaux salissait notre
uniforme noir, et ces paroles avaient été aussitôt rapportées à Eicke. Il leur
administra un sermon et sur ces entrefaites convoqua une réunion de tous les Führer
du district d’Oranienburg, qui était placé sous ses ordres. Il nous adressa un
discours approximativement en ces termes : « Les propos de ceux qui
ont parlé de “travail de bourreaux” exécuté par les SS apportent la preuve que
ces individus, malgré leur appartenance déjà ancienne au corps, n’ont pas
encore compris la tâche qui leur incombe : défendre le nouvel État par
tous les moyens à leur disposition. Tout adversaire doit être soit interné,
soit anéanti selon le degré du danger qu’il représente. L’une comme l’autre de
ces mesures ne peuvent être prises que par les SS. Eux seuls sont appelés à
garantir la sécurité de l’État tant qu’on n’a pas établi de lois suffisamment
efficaces. Le devoir de détruire un ennemi de l’État à l’intérieur ne se
distingue en rien de celui qui vous oblige à tuer votre adversaire sur le champ
de bataille : il ne saurait donc en aucun cas être considéré comme
dégradant. Ceux qui en jugeraient autrement ne se sont pas encore débarrassés
des vieilles conceptions bourgeoises que la révolution hitlérienne a rendues
caduques. Ce sont des symptômes de faiblesse et de sensiblerie indignes d’un
Führer SS. » Eicke devait signaler cette attitude dangereuse au
Reichsführer afin qu’il prenne les sanctions nécessaires. En conclusion, Eicke nous
déclara qu’il interdisait une fois pour toutes dans son secteur la
manifestation de sentiments aussi répréhensibles ; il ne pouvait tolérer
dans ses rangs que des hommes qui se montreraient durs sans restriction et qui
comprendraient la portée symbolique attachée à leur insigne d’honneur : la
tête de mort.
Le Reichsführer s’est abstenu d’infliger directement une
sanction aux personnes mises en cause. Il s’est contenté de les convoquer et de
leur adresser une semonce. Mais ils n’obtinrent plus d’avancement, ils
restèrent jusqu’à la fin de la guerre employés dans l’inspection des camps de
concentration comme gradés subalternes. Ils en ont beaucoup souffert, mais ils
avaient appris à se taire et à faire leur devoir en serrant les dents.
Une autre mesure prise au début de la guerre consistait à
faire passer les internés aptes au service devant des commissions spéciales
envoyées dans les camps de
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