Le commandant d'Auschwitz parle
concentration par le district militaire. La liste de
ceux qui étaient reconnus bons pour le service était remise à la Gestapo et aux
organes administratifs du Parti : les uns étaient mobilisés, les autres
laissés dans les camps sous bonne garde.
Or, il y avait parmi les internés de Sachsenhausen un bon
nombre de « sectateurs de la Bible ». Beaucoup d’entre eux se refusaient
à porter les armes et furent condamnés à mort par le Reichsführer. On les
exécuta devant tous les autres internés du camp, les « sectateurs de la
Bible » étant placés au premier rang [44] .
J’avais eu l’occasion de rencontrer à maintes occasions des
fanatiques religieux : dans les couvents, en Palestine, le long du chemin
de fer de l’Hedjaz, en Arménie : catholiques, orthodoxes, musulmans, chiites
et sémites. Mais les « sectateurs de la Bible » du camp de
Sachsenhausen (en particulier deux d’entre eux) surpassaient de loin tous ces « prototypes ».
Ces deux fanatiques se refusaient à tout ce qui avait le moindre rapport avec
la vie militaire. Ils ne se mettaient pas au garde-à-vous, ils n’enlevaient pas
leur bonnet et ne claquaient pas des talons. Ils prétendaient qu’ils devaient
ces marques de dévotion uniquement à Jéhovah, mais pas aux êtres humains. Ils
ne se reconnaissaient aucun chef en dehors de Jéhovah. Nous avons été obligés d’éloigner
ces deux hommes du bloc réservé aux « sectateurs de la Bible » et de
les enfermer en cellule parce qu’ils incitaient sans cesse les autres adhérents
de la secte à suivre leur exemple.
Eicke leur avait infligé à plusieurs reprises la bastonnade
pour des infractions à la discipline. Ils acceptaient cette punition avec une
telle ferveur qu’elle aurait pu passer pour l’expression d’instincts pervers.
Ils supplièrent le commandant de les punir encore afin qu’ils puissent porter
témoignage en faveur de Jéhovah et de leurs idées.
Comme on devait s’y attendre, ils refusèrent de se présenter
devant le conseil de révision ; ils ne consentirent même pas à signer les
formulaires envoyés par les autorités militaires. Le Reichsführer SS devait les
condamner à mort eux aussi.
Lorsqu’on leur annonça le verdict, ils se livrèrent à une
extraordinaire manifestation de joie et d’enthousiasme. Ils exultaient :
ils ne pouvaient dominer leur impatience devant la mort prochaine. Ils
joignaient leurs mains et, les yeux au ciel, criaient sans arrêt : « Bientôt
nous serons auprès de toi, ô Jéhovah ! Quelle joie de nous trouver parmi
les élus ! » Quelques jours plus tôt, comme ils assistaient à l’exécution
de coreligionnaires, on eut toutes les peines du monde à les retenir ; ils
voulaient être fusillés eux aussi. On les ramena de force vers le camp : c’était
un spectacle presque insupportable.
Maintenant que c’était leur tour de mourir, ils couraient
vers le poteau d’exécution. En aucun cas ils ne se seraient laissé mettre des
menottes parce qu’ils voulaient lever leurs mains vers Jéhovah. Ils se placèrent
devant le panneau de bois qui servait de cible avec des visages illuminés,
rayonnant d’une allégresse qui n’avait plus rien d’humain. C’est ainsi que je
me représentais les premiers martyrs du christianisme, debout dans l’arène en
attendant d’être dévorés par les bêtes fauves. Avec une expression de joie
extatique, les yeux levés vers le ciel, les mains jointes pour la prière, ces
hommes accueillirent la mort. Tous ceux qui avaient assisté à l’exécution –
même les soldats du peloton – étaient profondément émus.
Quant aux « sectateurs de la Bible », le martyre
de leurs coreligionnaires les excita davantage encore. Plusieurs d’entre eux,
qui avaient déjà signé l’engagement écrit de s’abstenir de toute propagande et
qui devaient être libérés très prochainement, se rétractèrent en déclarant qu’ils
voulaient continuer à souffrir pour Jéhovah.
Dans la vie quotidienne, les « sectateurs de la Bible »,
hommes et femmes, étaient des gens calmes, polis, assidus au travail et
toujours prêts à venir en aide aux autres. La plupart d’entre eux étaient des
artisans, mais j’ai trouvé aussi parmi eux bon nombre de paysans de Prusse
orientale. En temps de paix, quand ils se contentaient de se réunir pour prier
au cours de réunions et de cérémonies fraternelles, l’État les considérait
comme inoffensifs ; mais à partir
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