Le commandant d'Auschwitz parle
avec les internés. D’ailleurs, il n’y avait pas à
Sachsenhausen cette atmosphère de haine que j’avais connue là-bas. Les bureaux
d’Eicke se trouvaient dans ce camp, mais la troupe était différente :
beaucoup de jeunes recrues, beaucoup de jeunes « Führer » sortis des
écoles et seulement quelques rares vétérans.
Le commandant, lui, aussi, était d’une autre trempe. Quoique
dur et sévère, il était animé d’un sentiment fanatique du devoir et d’un désir
sincère d’être juste. Ce vétéran du national-socialisme, l’un des plus anciens
parmi les Führer SS, me servait de modèle, il me semblait que ma propre nature
était un reflet atténué de la sienne. Lui-aussi passait par des phases de
bienveillance et de sensibilité. Mais dans toutes les affaires de service il
faisait preuve d’une sévérité et d’une dureté implacables. Je m’inspirais de
son exemple pour faire taire en moi toute impulsion de faiblesse et pour me
soumettre aux dures exigences de mon devoir de SS.
La guerre venait d’éclater, marquant une date fatidique dans
l’évolution des camps de concentration. Nul ne pouvait prévoir alors à quelles
sinistres besognes ces camps allaient servir, par la suite, au cours des
hostilités.
Le jour de la déclaration de guerre, Eicke prononça un
discours devant les chefs des troupes de réserve, appelées à remplacer dans les
camps les unités de SS d’activé. Il insista sur la nécessité d’appliquer les
dures lois de la guerre. Chaque SS devait désormais oublier sa vie précédente
et engager son existence entière. Il devait considérer chaque ordre comme sacré
et l’exécuter sans hésitation, même si cela lui paraissait pénible. Le
Reichsführer des SS, nous dit-il, exigeait de chacun des Führer qui lui étaient
subordonnés le sacrifice total de sa personnalité dans l’accomplissement de son
devoir à l’égard de la nation et de la patrie.
La tâche la plus importante qui incombait aux SS pendant
cette guerre était de protéger l’État d’Adolf Hitler contre tout danger,
surtout dans le domaine intérieur. Une révolution dans le genre de celle de
1918, une grève d’ouvriers des fabriques de munitions telle qu’elle avait eu
lieu en 1917 étaient désormais impensables. Tout ennemi de l’État qui oserait
redresser la tête, tout saboteur de la guerre, devait être anéanti. Telle était
la volonté du Führer.
Pour sa part, Eicke exigeait de ses subordonnés, en s’inspirant
de ce mot d’ordre, une éducation appropriée pour les formations de réserve
appelées à servir dans les camps afin de leur inculquer une dureté implacable à
l’égard des internés. Leur service serait pénible ; les ordres qu’ils auraient
à exécuter n’auraient rien de plaisant. Mais les SS devaient montrer maintenant
que leur éducation du temps de paix portait ses fruits. Eux seuls pouvaient
prémunir l’État national-socialiste contre toute menace, car aucune des autres
organisations ne possédait la fermeté nécessaire.
Le soir même, nous allions assister dans notre camp à la
première exécution du temps de guerre.
Un communiste employé dans les usines de Junker à Dessau s’était
refusé à participer aux travaux de défense aérienne et avait été arrêté sur
dénonciation, par la Gestapo locale, pour être conduit à Berlin.
Ayant pris connaissance du rapport, le Reichsführer SS [42] avait donné l’ordre
de le fusiller sans délai.
Selon une circulaire secrète parvenue au moment de la
mobilisation, toutes les exécutions ordonnées par le Reichsführer SS ou par la
Gestapo devaient avoir lieu dans le camp de concentration le plus proche.
À 22 heures, Millier, l’un des chefs de la Gestapo [43] , nous annonça par
téléphone qu’un messager était en route, porteur d’un ordre qui devait être
exécuté immédiatement.
Peu de temps après, nous vîmes arriver un fourgon avec deux
fonctionnaires de la Gestapo et un civil, menottes aux mains. Le commandant
ouvrit l’enveloppe qu’on lui remit. Le message ne contenait que quelques lignes :
« Sur ordre du Reichsführer, l’homme doit être fusillé. Le verdict lui
sera annoncé, et sera exécuté une heure plus tard. »
Le commandant fit aussitôt part au condamné de l’ordre qu’il
venait de recevoir. Celui-ci ne se départit pas de son calme, bien qu’il ait
espéré (comme il l’avoua un peu plus tard) échapper à une condamnation à mort.
On lui
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